lundi 4 février 2013

Laws of Attraction

Il n'aura certainement échappé à personne que pendant que nous savourons avec délice cet hiver dont beaucoup pensaient qu'il n'en finirait jamais de venir, l'ensemble des députés du pays se sont réunis pour échanger et s'affronter sur ce champ de bataille épique qu'est l'assemblée nationale, ce afin de savoir si finalement oui ou non les personnes de même sexe auraient le droit de se marier entre elles, avec tout ce que cela entraîne.

Je ne fais pas ce billet pour discuter de la question du « mariage pour tous ». J'admets y être favorable, mais ce n'est pas la question qui m'intéresse ici. Le point central de ce billet est surtout un argument que j'ai entendu plusieurs fois lors des débats de ces derniers jours (oui, on peut suivre l'intégralité des séances publiques grâce au site dédié de l'Assemblée Nationale, et c'est un exercice que je conseille à tous) et qui m'interpelle vivement, tant par sa propension à revenir encore et encore dans les propos, et dans l'erreur surprenante qu'il me paraît contenir.

Cet argument, c'est celui dit « de la loi naturelle », qui fut à un moment tant répété que certains se sont demandés si un certain vieux parti n'avait pas finalement réussi à s'infiltrer dans l'hémicycle en douce.

Cet argument suppose visiblement que le gouvernement viserait à enfreindre les lois de la nature par ses réformes, ce qui serait donc mal. Et pour tout dire, tout il me laisse perplexe.

Tout d'abord parce que je vois mal comment le législateur pourrait réussir à changer les lois de la nature par le simple fait de lois et de décrets. Le gouvernement pourrait bien faire voter qu'à l'avenir la gravité est nulle et non avenue et qu'il fera 35 degrés à l'ombre en hiver, je ne pense pas que cela nous amène à aller travailler demain en apesanteur et en short. L'explication complète doit donc être que certaines lois visent à autoriser des pratiques scientifiques qui elles ne respectent pas les lois de la nature, mais là encore, ce raisonnement pose soucis.

Si l'on considère que les lois de la nature sont des lois scientifiques, il apparaît que contrairement à ce que certains pensent, la science permet de les préciser, et certainement jamais de les enfreindre. Le propre de la science est de comprendre et connaître le monde et d'en cerner et décortiquer toutes les subtilités (même si parfois certaines subtilités ne survivent pas à la façon de les décortiquer, mais c'est un débat à part). Descendant de façon de plus en plus profonde dans la compréhension des mécaniques qui font tourner ce monde, la science ne saurait à aucun moment violer les règles de la nature qu'elle entend étudier, elle n'en serait tout bonnement pas capable. Tout au plus peut-elle nous apporter quelques surprises, en nous faisant réaliser que ce qui semblait impossible est finalement envisageable, et que ce qui semblait certain n'est pas toujours vérifié. La science n'a par exemple jamais enfreint la loi de la gravité, mais elle a permis de trouver d'autres forces, tout aussi « naturelles » qui nous permettent de faire voler des avions et d'envoyer des fusées dans l'espace. Et les mécanismes permettant de le faire étaient déjà présents dès le Big Bang, il nous a juste fallu du temps pour les découvrir et les apprivoiser. Ainsi, si la nature a ses lois, alors les scientifiques en sont les patients juristes, cherchant à la comprendre et l'interpréter. A ceci près que si un scientifique s'égare trop dans ses interprétations, la réalité a tôt fait de lui démontrer son erreur, sans avoir recours à un juge. Sur cet effet, la nature est sans appel.

Maintenant il est aussi possible que ces fameuses « lois de la nature » fassent référence à une sorte d'état naturel du monde, qui serait sans cesse contredit par les constructions artificielles de l'homme. Comme si l'homme ne faisait pas partie de la nature et du monde, comme si la nature n'était pas déjà le point d'équilibre d'une multitudes d'interactions, toutes artificielles à leur manière. Comme si la ruche d'un essaim ou une colonie de coraux étaient plus naturels par essence. Cet état d'esprit reviendrait alors à renier tout ce qui est produit par l'homme, sous prétexte que c'est contraire à la nature première, comme si nous n'avions pas justement passé quelques dizaines de milliers d'années à nous écarter autant que possible de l'état primitif. Il s'agit donc peut-être finalement d'un argument hautement traditionaliste, visant à dire que les choses ont toujours été d'une certaine façon, et donc qu'elles ne devaient pas changer, parce qu'elles n'avaient pas changé auparavant. Vous noterez la subtilité de cette logique et la joie que peut ainsi procurer sa généralisation.

Au final, je tiens tout de même à préciser que je ne considère pas que le fait de découvrir grâce à la science de nouvelles possibilités implique de forcément y recourir. La science ne fait que créer des possibles, parmi lesquels nous devons décider sur quelle voie nous orienter, que conserver et que refuser. C'est justement le principe de la loi des hommes, celui d'un choix de société.

Donc s'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, occupez vous d'écrire collectivement la loi des hommes, et laissez la nature aux bons soins des scientifiques. Promis, nous veillerons sur elle avec la plus grande attention.