mardi 20 novembre 2012

Thelma et Louise

Mon billet de la semaine dernière, s'il a attiré plus de visiteurs qu'à l'accoutumée (un grand merci à Zythom pour cela), a vraisemblablement fait l'objet d'un quiproquos. J'avais en effet expliqué longtemps auparavant dans ce billet-ci que je renommerai systématiquement mes étudiants, amis et collègues en employant une convention spécifique, afin de protéger leur identité. Le fait que j'ai employé le prénom « Alice », premier nom de ma liste, n'implique donc pas forcément qu'il faille considérer qu'il s'agisse spécifiquement d'unE étudiantE (et je conserverai volontairement ce point ambigu).
Cette confusion, dont j'espère que les lecteurs m'excuseront, est cependant du coup l'occasion de faire un petit bilan sur la question de la mixité (ou plutôt du manque de mixité) dans les cursus informatiques.

Depuis que j'ai commencé mes études en informatique, à la fin du millénaire dernier, j'ai pu constater que les différentes promotions dont j'ai fait partie comptaient environ 10% de présence féminine. Et de ce que j'ai pu constater depuis que je suis enseignant, cette proportion est plus ou moins stable selon les années.
Outre le fait qu'à 18-20, un age où une grande partie des préoccupations de certain(e)s tourne autour de l'idée de passer d'agréables moments avec des personnes du sexe opposé, le fait de n'avoir dans son entourage scolaire immédiat qu'une poignée de filles a tendance à provoquer une certaine frustration chez certains étudiants (qui a au moins le mérite de les pousser à sortir un peu de leurs ordinateurs et à s'intéresser à ce qui se passe à coté), ce manque de mixité n'est pas lourd de conséquences, autant pédagogiques que sociales.

La première est pour les étudiantes en cours de cursus. Peu nombreuses, parfois très (trop) courtisées (ou chahutées, l'étudiant en informatique n'est pas forcément mieux élevé que le joueur de x-box live standard), elles ne se sentent pas toutes à l'aise dans ce genre d'environnement (d'accord, certaines s'en accommodent très bien et sont très contentes d'avoir toujours sous la main de jeunes hommes prêts à leur réexpliquer un cours ou leur porter leur sac, mais ce n'est pas un cas général). Notre équipe a du coup souvent tendance lors des constitutions de groupes à s'assurer qu'aucune fille ne soit seule dans un groupe autrement exclusivement masculin, mais parfois les situations sont vite compliquées.
La deuxième est pour les étudiants eux-mêmes. Mettant de coté les préoccupations grivoises, le manque de mixité dans les promotions tend à provoquer un entre-soi (ou « syndrome du vestiaire après-match ») qui n'est pas forcément des plus épanouissants quand il devient une norme quotidienne. Deux années à ce régime de blagues vaseuses et de concours de qui a la plus grosse carte graphique peuvent ensuite déboucher sur une certaine forme de machisme, un rapport parfois tendu avec les enseignantes, ou tout du moins sur l'impression que l'informatique est un « métier d'homme » (ce qui justement est d'une idiotie totale, mais les clichés auto-entretenus ont fatalement la vie dure).
La troisième est plus large, et concerne la vision que toutes et tous ont de l'informatique et de ses métiers, et des répercussions de cette image sur les jeunes sortant de lycée. En effet, alors que l'informatique est par définition une discipline intellectuelle, un domaine dans lequel il n'existe aucun raison physico-ergono-morphologique qui rende le travail plus difficile à un sexe qu'à un autre, beaucoup continuent de percevoir cette discipline comme un métier d'hommes, qu'ils soient des admins-bricoleurs toujours accroupis dans leurs machines comme les mécaniciens des années 70, des programmeurs-nerds connaissant des encyclopédies entières de langages n'ayant rien à envier au klingon, ou des décideurs-businessmen en costume aux relents de paternalisme. Ce cliché idiot dissuade probablement une quantité non négligeable de jeunes filles à tenter leur chance dans le milieu, ce qui fatalement, appauvri le milieu en question.
Parce que la deuxième observation que nous pouvons faire, c'est que les filles qui s'engagent s'en sortent plutôt bien. Depuis que je suis enseignant, les promotions dans lesquelles je suis intervenu ont compté plus de filles majors de promotion que ne le voudraient les lois statistiques, et les étudiantes que nous envoyons en entreprise (que ce soit en stage ou par apprentissage) ont généralement d'excellents retours de leurs employeurs, autant sur leur compétence technique que sur leur capacité à s'intégrer en milieu professionnel. Et plus on s'élève dans les strates de niveau universitaire, plus la mixité à tendance à se rétablir (d'ailleurs il y a dans mon équipe d'enseignement, autant de permanents masculins que féminins en informatique). Bien entendu là encore toutes ne réussissent pas aussi bien, et il est très possible que l'on trouve un biais du au fait que potentiellement les seules à tenter l'expérience sont celles qui sont les mieux armées intellectuellement et en termes de tempérament pour réussir dans ce genre de cursus, mais je pense qu'à tout le moins les étudiantes n'ont pas à craindre l'informatique, et que beaucoup gagneraient à s'y intéresser.

C'est pour cela que je pense qu'il faut encourager les lycéennes à s'essayer à l'informatique, ou au moins ne pas les décourager à le faire. Je ne trouve rien de plus triste dans mon métier que de voir de jeunes gens limiter eux-même leurs possibilités à cause des rumeurs et d'images.

Et pour rebondir sur le billet de la semaine dernière : depuis que j'enseigne nous avons en effet envoyé un nombre non négligeable d'étudiantes en école d'ingénieur, et elles s'en sortent généralement sans soucis. Certaines même parfois nous recontactent quelques années plus tard pour venir donner des cours en tant qu'intervenantes professionnelles, une manière d'amorcer un cycle vertueux. Reste à faire circuler l'information aux plus jeunes, dans les collèges et les lycées.

vendredi 16 novembre 2012

Stairway to heaven

On m'a fait remarquer récemment que les billets sur ce blog étaient un peu « râleurs » ou pessimistes. Il est vrai que sa charte graphique n'encourage pas à la gaieté et à la joie de vivre (mais non, je ne ferai pas un blog avec des poneys et de l'amitié, cela reste hors de question). Voici donc du coup en contrepoint un billet un peu plus positif, parce qu'enseigner, c'est quand même chouette.

Je vais donc aujourd'hui vous parler d'Alice. Oui, cette Alice là. Alice est une de mes anciennes étudiantes. Elle a passé 2 ans en DUT. Alice venait d'un baccalauréat technologique, avec des résultats certes pas mauvais mais pas spécialement brillants non plus, et une certaine allergie aux mathématiques, comme en ont beaucoup de jeunes quittant le lycée.

Clairement, avec son dossier en sortie de lycée, Alice n'aurait pas eu accès à une prépa, et même si elle y était allée cela probablement aurait été une tentative gâchée par le rythme et les exigences propres aux classes préparatoires (entre autres en mathématiques, dont on continue trop souvent à faire l'alpha et l’oméga de la sélection dans les formations scientifiques en France). Bref, sans être forcément sombre, son avenir était en partie limité par son orientation subie pendant sa jeunesse et par le fonctionnement de notre système d'enseignement, qui met très tôt les jeunes dans des tubes dont il devient ensuite difficile de sortir.

Mais Alice est venue faire un DUT Informatique, et il s'avère que l'informatique lui a plu, vraiment. Il est d'ailleurs probable que l'informatique lui ai déjà plu avant, mais c'est une passion dure à identifier et valoriser avant d'accéder aux études supérieures, tant cette discipline a encore du mal à trouver sa place dans le secondaire. Toujours est-il que ça a marché pour Alice, qu'elle a eu de bons résultats (même si les mathématiques ne sont pas devenus son fort pour autant), qu'elle a gagné ainsi le soutien des enseignants de l'équipe, qui ont appuyé son dossier de poursuite d'études.

Aujourd'hui Alice est élève ingénieure en informatique, et tient sa place sans difficultés au milieu d'étudiants venus du parcours Bac S + prépa classique. Bien sur elle n'est pas à X ou dans une des grandes grandes écoles les plus réputées. Mais elle sortira bientôt avec un titre d'ingénieur, et tout ce que cela implique dans le marché du travail français. Non seulement parce qu'elle est réellement compétente dans son domaine et a su s'investir dans ses études, mais aussi un peu à un moment parce que nous avons été là pour lui donner une chance, lui mettre le pied à l'étrier, et lui donner la possibilité de réaliser son vrai potentiel.

On mesure souvent la valeur d'un établissement en fonction de son taux de réussite et de la qualité de ses diplômés en sortie. Personnellement j'ai toujours trouvé cette méthode de palmarès peu pertinente. Après tout il est facile en recrutant de très bons étudiants au départ de s'assurer qu'ils soient encore très bons à l'arrivée. Pour moi la vraie plus-value d'un établissement d'enseignement se situe dans le différentiel entre le niveau d'entrée et le niveau de sortie de ses étudiants. Et sur ce différentiel, les IUT ont une carte importante à jouer. Nous ne recrutons pas dans nos promotions le haut du panier, cela fait des années que les bacheliers avec de bons et très bons dossiers partent en classes prépas. Mais ceux que nous formons, et à qui nous donnons une chance, peuvent en profiter pour prendre un véritable élan.

Bien sur il ne faut pas se leurrer, tout le monde ne réussit pas, et l'échec en première année est une de nos préoccupations constantes. Certains découvrent que la discipline ne leur convient pas, préfèrent une autre spécialité, ne s'investissent pas en termes de travail personnel, ou parfois simplement n'arrivent pas à suivre malgré leurs efforts. Nous faisons tout notre possible pour lutter contre cet échec, tout en sachant que la solution reine serait de ne jamais prendre de risque, de n'accepter que ceux dont on sait qu'ils réussiront.
Mais justement, prendre quelques risques, faire un pari sur la réussite d'étudiants au dossier pas toujours brillant au départ, c'est donner une chance à des personnes pour Alice, et c'est à mon sens exactement ce pourquoi nous sommes là.