Mon billet de la
semaine dernière, s'il a attiré plus de visiteurs qu'à
l'accoutumée (un grand merci à Zythom pour cela), a vraisemblablement fait l'objet d'un
quiproquos. J'avais en effet expliqué longtemps auparavant dans ce billet-ci
que je renommerai systématiquement mes étudiants, amis et collègues
en employant une convention spécifique, afin de protéger leur
identité. Le fait que j'ai employé le prénom « Alice »,
premier nom de ma liste, n'implique donc pas forcément qu'il faille
considérer qu'il s'agisse spécifiquement d'unE étudiantE (et je
conserverai volontairement ce point ambigu).
Cette confusion, dont
j'espère que les lecteurs m'excuseront, est cependant du coup
l'occasion de faire un petit bilan sur la question de la mixité (ou
plutôt du manque de mixité) dans les cursus informatiques.
Depuis que j'ai commencé
mes études en informatique, à la fin du millénaire dernier, j'ai
pu constater que les différentes promotions dont j'ai fait partie
comptaient environ 10% de présence féminine. Et de ce que j'ai pu
constater depuis que je suis enseignant, cette proportion est plus ou
moins stable selon les années.
Outre le fait qu'à
18-20, un age où une grande partie des préoccupations de
certain(e)s tourne autour de l'idée de passer d'agréables moments
avec des personnes du sexe opposé, le fait de n'avoir dans son
entourage scolaire immédiat qu'une poignée de filles a tendance à
provoquer une certaine frustration chez certains étudiants (qui a au
moins le mérite de les pousser à sortir un peu de leurs ordinateurs
et à s'intéresser à ce qui se passe à coté), ce manque de mixité
n'est pas lourd de conséquences, autant pédagogiques que sociales.
La première est pour les
étudiantes en cours de cursus. Peu nombreuses, parfois très (trop)
courtisées (ou chahutées, l'étudiant en informatique n'est pas
forcément mieux élevé que le joueur de x-box live standard), elles
ne se sentent pas toutes à l'aise dans ce genre d'environnement
(d'accord, certaines s'en accommodent très bien et sont très
contentes d'avoir toujours sous la main de jeunes hommes prêts à
leur réexpliquer un cours ou leur porter leur sac, mais ce n'est pas
un cas général). Notre équipe a du coup souvent tendance lors des
constitutions de groupes à s'assurer qu'aucune fille ne soit seule
dans un groupe autrement exclusivement masculin, mais parfois les
situations sont vite compliquées.
La deuxième est pour les
étudiants eux-mêmes. Mettant de coté les préoccupations
grivoises, le manque de mixité dans les promotions tend à provoquer
un entre-soi (ou « syndrome du vestiaire après-match »)
qui n'est pas forcément des plus épanouissants quand il devient une
norme quotidienne. Deux années à ce régime de blagues vaseuses et
de concours de qui a la plus grosse carte graphique peuvent ensuite déboucher sur une
certaine forme de machisme, un rapport parfois tendu avec les
enseignantes, ou tout du moins sur l'impression que l'informatique
est un « métier d'homme » (ce qui justement est d'une
idiotie totale, mais les clichés auto-entretenus ont fatalement la
vie dure).
La troisième est plus
large, et concerne la vision que toutes et tous ont de l'informatique
et de ses métiers, et des répercussions de cette image sur les
jeunes sortant de lycée. En effet, alors que l'informatique est par
définition une discipline intellectuelle, un domaine dans lequel il
n'existe aucun raison physico-ergono-morphologique qui rende le
travail plus difficile à un sexe qu'à un autre, beaucoup continuent
de percevoir cette discipline comme un métier d'hommes, qu'ils
soient des admins-bricoleurs toujours accroupis dans leurs machines
comme les mécaniciens des années 70, des programmeurs-nerds
connaissant des encyclopédies entières de langages n'ayant rien à
envier au klingon, ou des décideurs-businessmen en costume aux
relents de paternalisme. Ce cliché idiot dissuade probablement une
quantité non négligeable de jeunes filles à tenter leur chance
dans le milieu, ce qui fatalement, appauvri le milieu en question.
Parce que la deuxième
observation que nous pouvons faire, c'est que les filles qui
s'engagent s'en sortent plutôt bien. Depuis que je suis enseignant,
les promotions dans lesquelles je suis intervenu ont compté plus de
filles majors de promotion que ne le voudraient les lois
statistiques, et les étudiantes que nous envoyons en entreprise (que
ce soit en stage ou par apprentissage) ont généralement
d'excellents retours de leurs employeurs, autant sur leur compétence
technique que sur leur capacité à s'intégrer en milieu
professionnel. Et plus on s'élève dans les strates de niveau
universitaire, plus la mixité à tendance à se rétablir
(d'ailleurs il y a dans mon équipe d'enseignement, autant de
permanents masculins que féminins en informatique). Bien entendu là
encore toutes ne réussissent pas aussi bien, et il est très
possible que l'on trouve un biais du au fait que potentiellement les
seules à tenter l'expérience sont celles qui sont les mieux armées
intellectuellement et en termes de tempérament pour réussir dans ce
genre de cursus, mais je pense qu'à tout le moins les étudiantes
n'ont pas à craindre l'informatique, et que beaucoup gagneraient à
s'y intéresser.
C'est pour cela que je
pense qu'il faut encourager les lycéennes à s'essayer à
l'informatique, ou au moins ne pas les décourager à le faire. Je ne
trouve rien de plus triste dans mon métier que de voir de jeunes
gens limiter eux-même leurs possibilités à cause des rumeurs et
d'images.
Et pour rebondir sur le
billet de la semaine dernière : depuis que j'enseigne
nous avons en effet envoyé un nombre non négligeable d'étudiantes
en école d'ingénieur, et elles s'en sortent généralement sans
soucis. Certaines même parfois nous recontactent quelques années
plus tard pour venir donner des cours en tant qu'intervenantes
professionnelles, une manière d'amorcer un cycle vertueux. Reste à
faire circuler l'information aux plus jeunes, dans les collèges et
les lycées.