Parmi les grandes
discussions entourant le projet de loi visant à réformer
l'enseignement supérieur (oui, encore un, ça faisait longtemps) que notre ministre a présenté officiellement le 20 mars dernier,
une de celles qui me touche le plus dans l'immédiat est
vraisemblablement celle se tenant autour de la nouvelle obligation
des STS (Sections de Technicien Supérieur) d'accueillir en priorité
des étudiants issus de Bacs Professionnels et celle des IUT
(Instituts Universitaires de Technologie) d'accueillir en priorité
des étudiants issus de Bacs Technologiques. Enseignant en IUT depuis
environ 8 ans, je commence à avoir un aperçu de ce que donne chez
nous l'accueil d'étudiants venant de filières technologiques. De ce
que j'en vois, cette politique de quotas qui ne dit pas son nom a
tout de la « fausse bonne idée » qui ne va
vraisemblablement pas arranger les soucis de notre système
d'enseignement supérieur. Au-delà du pseudo argument sur la mission
des IUT (sur lesquels je centrerai mon propos) et des STS, il s'agit
en effet à mon sens d'une loi qui relève surtout de l'affichage
politique et qui va à l'encontre de l'intérêt des étudiants.
Pour commencer, un point
sur la situation actuelle. D'après les chiffres que
j'ai trouvés sur le site de l'éducation nationale (qui datent
un peu), la proportion de bacheliers technologiques en IUT est au
global de 33,2% par rapport à l'effectif global. Si cette valeur est
vraisemblablement variable suivant les disciplines (l'informatique
est réputée par exemple pour prendre peu de bacheliers
technologiques en entrée), elle n'est pas réellement « faible ».
Il faut donc interpréter ce que peut représenter cette notion de
« priorité » avancée par le gouvernement dans le
contexte actuel ? S'agit-il de monter à plus de 50% de
bacheliers technologiques ? Ou de viser un objectif dans les
faits « déjà atteint » qui ne changera pas grand chose
au fonctionnement des établissements. Le manque de précision sur
les objectifs précis est à ce titre assez gênant puisqu'il
entretient autour du débat un flou nous empêchant d'anticiper les
effets concrets de la réforme.
Un des grands arguments
de cette réforme serait la « mission » des IUT, comme si
ceux-ci avaient été conçus pour accueillir les étudiants issus de
filières technologiques. Cet argument est en grande partie faux.
Historiquement les IUT ont été conçus à la fin des années 60
pour accueillir des étudiants venant de baccalauréat général et
cherchant une formation à visée professionnelle en deux ans. Leur
ré-orientation vers l'accueil fort d'étudiants issus de filières
technologiques n'est que relativement récente, et trouve surtout
écho dans la volonté dont a témoigné V. Pécresse lors qu'elle
était Ministre de l'enseignement supérieur de 2007 à 2011.
La vraie limite de cette
mission de formation professionnelle n'est pas tant due aux IUT en
eux-même qu'au contexte qui s'est développé autour. Autant dans
les années 70 de nombreux étudiants envisageaient sereinement de se
contenter d'un Bac+2 et d'avoir de bonnes perspectives d'emploi et de
rémunération, autant à l'heure actuelle tout est fait pour inciter
les étudiants à poursuivre leurs études le plus longtemps possible
(ou en tout cas à viser un Bac+5, ingénieur ou équivalent) s'ils
veulent tirer leur épingle du jeu. Avec en plus une offre de
formation supérieure qui s'est étoffée ces dernières années
(l'apparition des licences professionnelles et l'augmentation du
nombre d'écoles privées), tout incite les étudiants qui en ont les
moyens (intellectuels et/ou financiers) à poursuivre le plus
longtemps possible.
Or la formation dispensée
en IUT est à la fois très complète (1800h en deux ans, plus un
stage, alors qu'une formation « fac » propose 450 à 600h
de formation par an) et très efficace (car ciblée, et soutenue par
des enseignants, enseignants-chercheurs et professionnels qui
s'impliquent fortement, parfois d'ailleurs au détriment de leur
progression de carrière). Cela fait du DUT un diplôme très
apprécié des licences et des écoles qui y reconnaissent des
profils compétents, sachant travailler et souvent très motivés par
leur champ professionnel. Les IUT ne peuvent donc pas faire grand
chose pour enrayer ce phénomène qui leur échappe, à part saboter
leur travail volontairement, ce qui serait peu intelligent, tout de
même.
Au-delà de cet argument
de la mission (qui peut être redéfinie avec le temps, oui, mais
n'est pas un argument de « légitimité historique »),
cette réforme a en fait une volonté très « politique »
et qui fait suite à une série de choix stratégiques concernant
l'enseignement français qui mettent le gouvernement actuel dans une
situation difficile.
Lors de la création du
baccalauréat professionnel en 1985, le ministre J.P. Chevènement a
voulu faire de l'affichage : créer une filière
professionnelle, censée déboucher sur une insertion directe dans la
vie active, mais l'appeler baccalauréat pour pouvoir ensuite se
vanter que 80% d'une classe d'age passe le bac (sans distinguer
général, technologique et professionnel). Le fait est qu'en
choisissant de faire de cette formation professionnelle un
baccalauréat, le ministre a ouvert la voie de ces bacheliers à la
poursuite d'études dans l'enseignement supérieur, même si ce
n'était pas son intention première (le baccalauréat est par
définition première un diplôme ouvrant l'accès aux études
supérieures, c'est historiquement sa seule raison d'être). Suite à
cela, les bacheliers professionnels ont connu la même dynamique que
les étudiants d'IUT : un contexte économique incitant plus à
la poursuite d'études qu'à l'insertion professionnelle. Sauf que
dans leur cas, l'intégration dans les structures d'enseignement
supérieur classiques se passe beaucoup moins bien. Du point de vue
du supérieur, ces étudiants présentent généralement des
faiblesses globales (sur leur capacité de compréhension, de
travail, d'autonomie) par rapport à ceux provenant de filières
générales ou technologiques qui font qu'ils ne peuvent pas
poursuivre efficacement leurs études, sauf cursus spécialement
adaptés (et parfois avec des objectifs moindres que ceux des cursus
standards). Ils se retrouvent donc dans un monde universitaire auquel
ils n'étaient pas vraiment destinés et qu'ils ne sont pour la
plupart par armés pour suivre, et échouent.
Du coup, comme il faut
permettre à ces bacheliers de poursuivre leurs études (parce que
poursuivre ses études après un diplôme professionnel, quand on
parle du bac, c'est normal, quand on parle du DUT, c'est un
dévoiement du diplôme), il faut leur créer une place là où ils
ont une chance de réussir, quitte à pousser les autres. Donc on
impose des quotas de Bac Pro en STS, et histoire que les étudiants
issus de Bac Techno (un des publics habituels des formations STS) ne
soit pas en reste on les recase bon gré mal gré en IUT. Que l'on
pousse pour ce faire des étudiants issus du bac général et qui
réussissaient jusque là bien en DUT n'est visiblement pas un
problème. Et bien entendu personne ne se pose la question de savoir
si ces étudiants ainsi casés de force vont réussir leurs études,
l'important c'est l'affichage, on pourra toujours reprocher aux
enseignants de ne pas faire de miracles ensuite.
Parce que le point censé
être la clé de cette réforme, à savoir de permettre la réussite
des étudiants, est tout sauf garanti. Notre établissement accueille
déjà depuis des années des étudiants issus de Bac Technologique
(en Informatique, nous accueillons des étudiants issus de Bac STI ou
STG – qui changent de nom cette année), et j'ai déjà eu
l'occasion de constater
à quel point cet accueil peut être un véritable tremplin pour
certains de ces étudiants. Mais la contrepartie de cet accueil
est souvent un taux de réussite relativement faible chez ces
étudiants, qui s'ils n'ont pas une motivation très forte
s'écroulent très souvent en fin de premier semestre. Sur les 16
étudiants issus de Bac Techno que nous avons accueilli en DUT
Informatique à la rentrée dernière (dans une promotion de 70
étudiants), la moitié ont déjà abandonné, et les autres ne sont
pas sûrs de valider leurs deux premiers semestres.
Le blog Gaïa
Universitas, dans
son argumentaire en faveur de cet élément de réforme, pointe
que le taux de réussite est de 68% chez les étudiants venant de
filière technologique en DUT (contre 13,5% en fac, ce qui est
effectivement très faible). Mais ce taux est déjà plus faible que
le taux de réussite global (de 74,3%) [source site
MESR] alors que ces étudiants sont triés sur le volet (examen
plus attentif des dossiers, entretiens avec les étudiants afin de
mieux cerner leurs motivations et s'assurer qu'ils ne se fassent pas
une fausse idée du métier, etc.) et que souvent sont mis en places
des efforts particuliers pour aider ces étudiants à réussir
(soutien, suivi) qui sont applicables à petite échelle, mais ne
sont pas généralisables à l'échelle de toute une promotion (à
moins qu'on nous apporte des budgets et des enseignants
supplémentaires, mais vous comprenez, c'est la crise). Dans ces
conditions, ouvrir les portes de l'établissement en très grand par
un mécanisme de priorités risque fortement de faire arriver des
étudiants qui ne sont clairement pas armés pour suivre ce genre de
cursus, et à qui on aura fait miroiter une poursuite d'études ne
pouvant mener qu'à un échec.
Bien entendu à ce moment
on nous reprochera de trop attendre de ces étudiants que l'on nous a
fait accepter de force et on nous demandera certainement de revoir
les ambitions du diplôme à la baisse. Le hic c'est que le DUT n'est
pas un diplôme dont le niveau est fixé pour faire joli sur des
organigrammes, c'est un diplôme dont le niveau d'attente correspond
aux besoins des métiers concernés, et que si c'est pour former des
informaticiens incapables d'écrire un programme ou configurer un
réseau, autant arrêter les frais tout de suite.
Finalement, si les IUT ne
répondent pas actuellement à la « mission » que veut
leur confier le gouvernement, il faut bien comprendre qu'ils
répondent à un besoin réel. Celui d'étudiants venant de filières
générales, pas spécialement privilégiés, qui sont pris à
choisir entre des classes préparatoires qui ne leurs conviennent pas
(parce qu'ils en ont marre des maths et de la physique, parce que le
rythme est éprouvant et souvent destructeur, parce que la formation
est « optimisée concours » et n'apporte souvent que peu
de compétences employables directement) et des cursus en licence qui
n'ont pas les moyens (financiers, matériels et humains) de mettre en
place des formations aussi efficaces qu'il le faudrait (et je le sais
très bien, je suis un ancien Bac S qui a choisi d'étudier en IUT,
puis est passé par la fac et a finalement fait une thèse). Cette
politique de priorités (pour ne pas dire quotas, parce que notre
ministre nous a dit que le terme de quotas ne serait pas employé,
vous comprenez, les mots c'est mal et ça pourrait vouloir dire des
choses) passe du coup complètement à coté de ce besoin réel :
les étudiants plutôt bons qui seront refusés en IUT « parce
qu'il faut faire de la place aux bacs technos » vont se
retrouver devant ce choix qu'ils refusent de faire (prépa ou fac) et
il y a de fortes chances qu'une grande part d'entre eux finisse par
atterrir dans le privé : dans des écoles qui préparent au BTS
par exemple (qui étant établissements privés pourront ne tenir
aucun compte des priorités ministérielles) ou dans des écoles avec
prépa intégrée (certaines délivrant un diplôme d'ingénieur,
d'autres un simple Master, et qui dans les deux cas coûteront cher
en frais d'inscriptions). Il serait beaucoup plus efficace (et
moindre en effets pervers) de travailler davantage sur l'offre
universitaire standard, en donnant aux universités les moyens de
mettre en place des diplômes de licence aussi attractifs et
efficaces en terme de formation que le DUT (en comptant qu'en plus
les IUT faisant déjà partie des universités, il y a déjà des
bonnes volontés en interne pour aider à améliorer tout ça). Cela
attirerait du coup de nouveau les bons étudiants sur les bancs de la
fac et créerait mécaniquement de la place en IUT et STS. Mais cela
demanderait des moyens, une volonté politique affirmée, et
d'arrêter de faire de l'université la dernière roue du carrosse de
l'enseignement supérieur français, sûrement trop demander à
l'heure actuelle.
Et éventuellement il
faudrait envisager d'arrêter de donner le bac à des étudiants qui
ne sont pas capables de suivre une consigne simple, manier les
opérations de base (tous les ans je commence par réapprendre à mes
étudiants comment poser une division) et s'exprimer en français
correct. Mais là je suis utopiste.
Et aussi se demander
pourquoi dans le système français à chaque fois qu'un gouvernement
crée un diplôme à visée professionnelle ce dernier devient en
quelques années un tremplin fort pour la poursuite d'études. Il y a
certainement une piste intéressante à creuser.
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