Alors que la poussière
retombe, comme elle sait si bien le faire, et que les premières évaluations en ligne fusent, l'école 42, nouvelle invention de Xavier Niel et Nicolas
Sadirac, commence à prendre sa place et préparer son contingent de
rentrée. Mais, si l'on peine à trouver dans la presse des voix
divergentes sur le bien-fondé et la qualité déjà reconnue d'une
école qui n'a pas encore ouvert, celle-ci n'a pas encore fini de
soulever quelques questions. Et comme si son nom l'y destinait, elle
soulève entre autres des questions de chiffres. J'avais déjà donné la semaine dernière une première réaction « à chaud » sur ce que m'avait
inspiré l'annonce du projet. Cette fois-ci je m'interroge surtout
sur certains faits et chiffres annoncés.
Parce que que sait-on, à
l'heure actuelle de cette école, en terme d'indicateurs chiffrés ?
Selon les sources et les présentations, elle est soit destinée à
accueillir 1000 étudiants au total, soit à en accepter 1000
nouveaux par an, ce qui n'est pas du tout la même chose. Les
versions variant selon les présentations, il peut convenir de
creuser un peu, et de chercher ce qu'il en est. Vous verrez, vous ne
serez pas déçus de ce qu'on peut trouver.
Nos seules informations
fiables sont quelques indicateurs : l'école sera hébergée
dans des locaux d'une surface de 4242m² (le fameux Heart of
Code) et les coûts de fonctionnement sont estimés à 50
millions d'euros pour les 10 premières années. C'est à l'aune de
ces informations que nous pouvons étudier les deux grandes
hypothèses.
La première est que
l'école a vocation à accueillir 1000 nouveaux étudiants par an et
à les conduire au terme de la formation. C'est par exemple ce qui a
probablement poussé le dirigeant d'Ametix à annoncer qu'il
faisait une proposition d'embauche ferme aux 1000 premiers diplômés
de l'école (proposition qui pour être tenue impliquerait que sa
société connaisse une croissance d'environ 9000% en 5 ans, mais
bon, dans le monde magique de l'informatique, tout est possible).
Si cette hypothèse
tient, alors elle implique que pendant les 5 premières années
l'école va « monter en charge » (oui, moi aussi je sais reprendre des termes techniques dans le texte pour mieux cibler mon public) pour atteindre un
effectif total de 5000 étudiants (version utopiste, il y aura forcément de
l'évaporation, même si elle reste pour l'instant impossible à
estimer). Un tel effectif impliquerait donc que sur les 10 premières
années, l'école connaisse un effectif cumulé de 40000 étudiants
(le temps de la montée en charge).
Avec cette estimation,
cela conduirait à calculer que d'une part, en rythme de croisière,
la superficie de l'établissement sera d'environ 0,85m² par étudiant
(4242/5000), ce qui est peu, convenons-en, et sera probablement un
peu moins, vu qu'il faudra aussi intégrer de l'espace pour les
enseignants et le personnel de l'école (à moins que l'entretien ne soit assuré par des Roombas, voila qui serait innovant). A ce niveau-là, il va
falloir rajouter beaucoup de monde sur les magnifiques vues des futurs locaux pour donner une impression réaliste de ce que sera la
vie dans l'établissement. D'autre part, cela permet d'estimer la
dépense par étudiant à 1250€ par étudiant (50 millions /
40000), ce qui pour le coup impliquerait que 42 serait certainement
la formation supérieure la moins coûteuse du pays (pour
information, le budget par étudiant et par an d'une université
comme Paris VIII est d'environ 5000€) et que du coup, Xavier Niel ne tient pas seulement une recette pour révolutionner l'informatique, mais aussi pour sauver le budget de l’État, et qu'il a oublié de nous le dire. Clairement, à la vue de ces
chiffres, l'hypothèse d'un établissement de pointe sortant 1000
nouveaux « diplômés » chaque année semble peu
réaliste. Ou alors les étudiants vont vraiment profiter du
caractère « ouverture 24h/24 » de l'école pour
organiser des roulements dans les salles machines, ce serait pour le
coup une application des trois-huit très « professionnalisante »
(ou appliquer des règles de vie dignes d'un équipage de sous-marin).
L'autre hypothèse serait
que l'établissement n'est voué qu'à un effectif total de 1000
étudiants, pas plus. Cette version semble corroborée par l'annonce
par Xavier Niel lui-même Florian Bucher (le directeur technique de l'école) lors de la conférence de presse lançant le projet (à 22min50s) que l'établissement sera équipé de
« un parc informatique de plus de 1000 postes [...] 1 étudiant , 1 poste» et
est donc relativement tangible. Elle apparaît également plus
cohérente si l'on regarde à nouveau budget et superficie. Cela
ramène en effet la superficie à 4,242m² par étudiant (de quoi
respirer un peu plus, ou en tout cas éviter de travailler debout en
tenant son ordinateur à bout de bras), et le budget de
fonctionnement à 5000€ par étudiant, ce qui semble plus dans la
norme des coûts de fonctionnement d'un établissement appliquant une
pédagogie « par projets » (surtout en démarrant
l'exercice avec un matériel et des locaux flambant neufs). Mais
cette hypothèse-là présente un souci : c'est que dans les
faits l'école va bien accueillir 1000 nouveaux étudiants à la
rentrée 2013 (sélectionnés parmi 4000 qui participeront aux
formations « piscine » de cet été).
Que va-t-il donc se
passer dans un an ? Si l'effectif se maintient à 1000 étudiants,
il n'y aura alors pas de place pour de nouveaux venus. Cela donnerait
donc une école formant un contingent de 1000 personnes, en ouvrant
ses portes une fois tous les 5 ans. Ça a un coté très « école
d'élite ultra prestigieuse » mais semble complètement
décorrélé des besoins des employeurs qui vont avoir besoin d'un
flot continu de nouveaux développeurs, pas d'un lot quinquennal.
Donc pour assurer un flux
continu, sans augmenter l'effectif total de l'établissement, il n'y
aura qu'un moyen : miser sur les départs. Qu'ils soient
volontaires (abandons, réorientations) ou forcés (personne n'a dit
que l'école autoriserait le redoublement en fin d'année si un
étudiant ne donne pas satisfaction). Il n'est donc pas impossible
qu'à l'approche de l'été 2014, un grand nombre d'étudiants de
cette école se retrouvent à faire leur valise après avoir manqué
(par motivation personnelle ou par manque de niveau) leur première
année. Après tout, le meilleur moyen de sélectionner et former des
« génies », c'est encore de brasser large au départ et
de ne garder que les pépites. Et puis qui pourra se plaindre ? L'école est entièrement gratuite, elle ne doit rien à ses étudiants, à aucun moment.
Ces étudiants (qui
risquent au final de représenter une quantité non négligeable) se
retrouveront donc au bout d'un an, avec une formation intensive mais
non validée, des compétences imparfaites, et aucun mécanisme
d'équivalence qui leur permette de valoriser leur année dans un
autre établissement. Retour à la case Bac+0 (pour ceux qui auront
passé leur bac avant de venir, les non-bacheliers pour le coup ne
risquent effectivement rien), chose embêtante en fin de première
année, plus difficile à supporter si on se fait éjecter à
l'approche de la fin de cursus.
Bien entendu je n'affirme
pas que c'est ce qui va arriver. Dans l'absolu nous ne savons pas, et
certaines choses restent floues. Je pense qu'il serait toutefois bon,
pour tous les candidats qui vont passer les sélections de cet été,
de savoir à quoi s'en tenir sur cette question. Combien peuvent
espérer passer en 2° année ? Valider le cursus court en 3
ans ? Combien arriveront au bout des 5 ans de formation sur la
totalité des entrants ? Qu'adviendra-t-il des perspectives de ceux qui n'arrivent pas au bout ? Un choix d'orientation aussi marqué
que celui-là (parce que la formation sera exigeante, c'est certain,
et parce qu'elle ne permet pas de réorientation dans des cursus
autres) mérite au moins d'être étayé par des informations
claires, et pas de jolies promesses.
Maintenant il se peut que
j'aie raté certaines informations sur le sujet, ou que j'aie mal lu
certains chiffres. Si quelqu'un ayant plus d'informations sur le
sujet passe par ici et peut fournir des éclaircissements, je serai
ravi de les intégrer dans la réflexion.
Et comme je l'ai conclu
dans mon précédent billet, de toute façon, nous jugerons sur
pièce. Je préférerais juste
éviter que dans le compte ce soient les étudiants qui servent de
variable d'ajustement.
NB : mise à jour rapide en temps réel :
J'ai demandé à Nicolas Sadirac directement par twitter, qui vient de confirmer l'hypothèse "1000 étudiants par promotion". Ce n'est donc pas une formation en piscine, mais bien en sous-marin qui se profile.
NB : mise à jour rapide en temps réel :
J'ai demandé à Nicolas Sadirac directement par twitter, qui vient de confirmer l'hypothèse "1000 étudiants par promotion". Ce n'est donc pas une formation en piscine, mais bien en sous-marin qui se profile.
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