Alors que l'automne s'est
désormais bien installé sur le pays, et en attendant de parler des
prix Nobel qui en cette saison tombent tels des feuilles de
marronniers, je reviens aujourd'hui sur le tristement célèbre
classement académique des
universités mondiales par l'université Jiao Tong de Shanghai,
dit classement de Shanghai. Ce classement, présenté
comme un palmarès incontournable des meilleures universités du
monde, est devenu le phare lumineux de ceux parmi les décideurs
politiques qui ont compris de la science, de l'enseignement et de la
recherche qu'on pouvait les résumer à l'optimisation d'un
indicateur statistique imparfait.
Ce classement, qui comme
son nom l'indique a été mis au point par des chercheurs de
l'Université Jiao Tong de Shanghai, avait pour objectif initial
(merci Wikipédia)
de fournir au président de l'université concernée un indicateur
permettant d'identifier les universités au sein desquelles envoyer
en priorité des étudiants lors d'échanges internationaux. En soi
cet objectif n'a rien de contestable (l'échange international étant
toujours fortement encouragé, que ce soit au niveau des étudiants
comme à celui des équipes de recherche) et on peut comprendre
l'intérêt pour un président d'université de se munir à cet effet
d'un outil rapide d'accès et développé en interne, même si sujet
à des approximations (et à une vision spécifique des critères sur
lesquels baser ses préférences). Le soucis que pose ce classement
c'est qu'étant le seul (le premier ?) connu et communiqué dans ce
domaine, il est rapidement devenu une marotte médiatique et,
échappant à son objectif premier, est devenu un outil de
comparaison des établissements et des politiques d'enseignement
supérieur et de recherche, poussant certains décideurs politiques à
en faire le point central de leur politique universitaire.
Or l'utilisation de ce
classement à cette fin de pilotage de politique de recherche
nationale présente deux défauts clairs et incontestables. Le plus
évident est une méprise sur l'objet étudié : il ne s'agit
pas d'un indicateur des performances d'enseignement et de recherche
des états, mais d'un ensemble d'établissements. Il favorise donc
intrinsèquement les établissements de grande taille (car plus
visibles dans le classement) et peut donc donner une vision faussée
de la performance de chaque état dans le domaine, en fonction de la
stratégie de répartition des universités sur le territoire
(quelques gros centres universitaires versus un maillage de petites
universités de proximité). Par exemple, les Etats-Unis comptent 158
universités publiques (et quelques 4000 établissements
d'enseignement supérieur privé) pour plus de 317 millions
d'habitants (1 pour 2 millions d'habitants), dans le même temps la
France compte 75 universités pour 65 millions d'habitants (1 pour
866000 habitants), ce qui reflète une organisation de l'enseignement
et de la recherche publique beaucoup plus éclatée (et encore je ne
parle pas des organismes de recherche purs). On peut d'ores et déjà
en déduire que vouloir comparer la performance des politiques
publiques d'enseignement et de recherche américaines et françaises
à partir des performances individuelles de leurs établissements est
un non sens. Si en plus on considère que parmi les 10 meilleurs
universités américaines (occupant les places 1 à 12 du classement)
8 sont en réalité des établissements privés (les seuls
établissements publics étant Berkeley et l'Université de
Californie), on peut réaliser à quel point cet indicateur n'est pas
employable pour jauger de la performance d'une politique nationale.
L'aspect le plus
pernicieux de ce classement est ensuite qu'il représente une
certaine vision de ce que doit être une « bonne »
université, vision qui n'est pas forcément universelle, loin de là.
Si l'on observe les critères du classement de Shanghai, on peut en
conclure que du point de vue du président de l'université Jiao
Tong, une bonne université est une université :
- qui a formé des chercheurs ayant ensuite remporté le prix Nobel ou la médaille Fields,
- qui emploie actuellement des chercheurs ayant ensuite remporté le prix Nobel ou la médaille Fields,
- qui emploie des chercheurs très cités dans leur discipline,
- qui publie beaucoup, mais uniquement dans Nature et dans Science,
- qui est beaucoup citée dans Science citation index et Art & Humanities citation index.
Il apparaît rapidement
que ces critères contribuent à former une simple évaluation de
surface et ne sont certainement pas pertinents pour déterminer à
quel point un établissement rempli ses missions. D'autant que les
missions dédiées à l'université sont dépendantes des choix
politiques de chaque état. Par exemple, en France, la performance
d'une université en terme d'enseignement est évaluée par son taux
de réussite aux niveaux Licence, Master, Doctorat, par le taux (et
la qualité) d'insertion professionnelle à 1 an pour les étudiants
ayant quitté l'établissement après leur diplôme et par le taux de
poursuite d'études après certaines formations. Autant de critères
qui visiblement n'intéressent par l'université Jiao Tong qui ne
semble vouloir que former quelques futurs Nobel, quitte à laisser
pour cela une cohorte d'étudiants non diplômés en bout de chaîne.
Du coté de la recherche, la restriction si forte à deux revues
d'excellence (et ces derniers temps un peu chahutées) et aux
distinctions les plus prestigieuses (souvent décernées 10 à 20 ans
après les travaux qui les ont méritées) tient de coté l'immense
majorité de l'activité scientifique, et oublie des disciplines
entières (dont toutes les sciences humaines, sociales, juridiques,
etc).
Le classement de Shanghai
devrait donc rester ce qu'il a toujours été : un outil
permettant au président d'une université précise d'identifier des
partenaires de travail intéressants au regard de la politique de son
établissement. Vouloir s'en servir comme classement mondial des
performances universitaires et des performances des politiques
publiques est une erreur qui ne peut conduire qu'à des décisions
inappropriées aux situations locales et à des biais de perception
sur le rôle de l'université dans la vie civile. Manque de chance,
les médias se sont emparés de ce classement et le récitent chaque
année à l'envie, sans être dissuadés par les problèmes de
critères et de méthodologie qu'ils pensent pourtant souvent à
rappeler. Voici donc nos décideurs poussés à entreprendre des
politiques universitaires dont ils savent qu'elles seront évaluées
à travers l'évolution annuelle de ce classement, pour le meilleur
et pour le pire.
Bien entendu, nous
pourrions décider d'entreprendre un autre classement ou indicateur,
et il en existe déjà, comme le QS
World University Rankings ou le Times
Higher Education World University Rankings. Mais nous savons déjà
à quel point il est difficile de mettre en place et diffuser un
nouveau standard de classement/évaluation quand il existe déjà un
outil rapide et simple à comprendre (même si cruellement imparfait)
à portée de main. Reste donc à trouver un moyen de continuer à
remplir efficacement nos missions et faire notre travail tout en
apportant satisfaction relative aux critères du classement dominant
de l'époque.
Ceci dit, j'aimerais bien
voir ce que l'on arriverait à faire en France si on avait le taux
d'encadrement et le budget par étudiant d'un établissement comme
Harvard.
Si je peux me permettre , juste une minuscule faute : j' aimeraiS bien voir , arriverait , t , ok . Ou bien , j' aimerai bien voir ce que l' on arriverA à faire . L 'un ou l' autre ... sorry , "prof un jour , prof toujours" ^^ Sinon , parfait , rien d 'autre à dire .
RépondreSupprimerAnonyme Jawan ^^
Je vais de ce pas corriger cette erreur. Merci.
Supprimer(Bon, j'ai au moins UN lecteur, c'est plutôt encourageant)