Il est une chance pour
nous qu'au milieu des querelles intestines à leur parti, les élus
de l'opposition trouvent encore le temps de se soucier de vrais
sujets de société et de l'avenir de notre pays (oui, moi aussi je sais faire des introductions façon Claire Gallois). Malheureusement,
quand ils se soucient de l'évolution de notre société et des modes
de pensée de leurs concitoyens, cela les pousse parfois à prendre
des initiatives dont on se demande si elles relèvent simplement de
l’esbroufe médiatique ou, plus inquiétant, de l'imposture
intellectuelle.
Par exemple, Xavier
Breton, député de la première circonscription de l'Ain, n'a
rien trouvé de plus intéressant récemment que de demander
la mise en place d'une commission d'enquête pour étudier la
façon dont la théorie du genre se répand à l'heure actuelle dans
les esprits français, jugeant que cet engouement pour la
déconstruction des stéréotypes genrés est dangereuse pour
l'avenir du pays, que sa diffusion s'est faite « sans
débat public préalable » et pis encore que la théorie du
genre « ne
présente aucun caractère scientifique ».
Dans mon cerveau de petit
citoyen ordinaire, une commission d'enquête parlementaire, c'est un
gros truc. C'est le genre d'outil que l'on emploie quand il faut
enquêter sur les dysfonctionnements de la justice dans
l'affaire d'Outreau ou pour se saisir de sujets de société
graves comme les
sectes religieuses en France. Lancer une commission d'enquête
parlementaire sur la question de la théorie du genre, ce n'est pas
une mince affaire, et cela témoigne d'une préoccupation grave de la
part de Monsieur Breton, qui doit penser que la survie de la
République est en danger...
Sauf qu'à travers ces
demandes et ces déclarations, outre faire exemple d'un conservatisme
de pensée qui saura ravir son électorat traditionaliste, M. Breton
fait la démonstration d'un mépris et d'une incompréhension de la
chose scientifique qui est assez emblématique de la classe politique
française.
Ce n'est pas un problème
fondamentalement nouveau. En France, une grande partie de la classe
politique a une formation et une culture scientifiques (je prends le
mot science dans son sens complet, c'est à dire comprenant entre
autre les sciences humaines, sociales, juridiques, etc.) relativement
limitées. Très peu de personnalités politiques sont formées à la
recherche et en mesure de saisir ses réels enjeux (oui, cela peut
sembler condescendant à première vue, mais si on demande aux
chercheurs de passer un doctorat, c'est bien parce qu'il y a besoin
d'une formation particulière pour comprendre et pratiquer la
recherche) et quand elles expriment leur point de vue sur la chose
scientifique, elles confondent présenter une théorie et asséner un
point de vue nourri aux images d’Épinal.
Donc qu'est-ce que la
théorie du genre en fait ? C'est
un champ de recherche, lié principalement à la sociologie, qui
vise à étudier la façon dont la société projette des stéréotypes
construits socialement sur les individus selon qu'ils soient de genre
masculin, féminin, ou autre. Le « genre » d'un individu
se détache à ce titre du « sexe » biologique en ce
qu'il s'agit d'une construction sociétale autour de la notion de
sexe biologique. Comme tout champ de recherche, les gender studies
comme on les appelle outre-manche rassemblent toute une communauté
de scientifiques, travaillant tout autour du globe, qui mènent des
enquêtes et des études pour mieux comprendre et identifier la
dissociation entre sexe et genre, entre la réalité biologique et la
construction sociale.
Ainsi, quand M. Breton se
plaint que les gender studies n'ont pas fait l'objet d'un
« débat public », il nie simplement le fait que le domaine
fait l'objet de nombre de colloques (même s'il a fallu attendre
assez récemment pour trouver des colloques sur le sujet organisés
en France) au cours desquels divers membres de la communauté
scientifique présentent et discutent leurs travaux, dans la plus
grande tradition universitaire. Peut-être s'offusque-t-il que lui,
député n'ayant pas grande connaissance en sciences sociales, n'ait
pas été appelé à exprimer son avis de non-expert du sujet, auquel
cas nous devons aussi nous attendre à ce qu'il s'inquiète
prochainement qu'il n'y ait pas eu de débat public sur la question
des théories quantiques ou sur la théorie de l'évolution (mais
nous allons peut-être y venir, un lobby créationniste finira bien
par atteindre le sol français).
Il pourrait effectivement
y avoir des choses à discuter sur l'état actuel des gender
studies. En tant que jeune champ de recherche, aux implications
politiques fortes, il peut avoir tendance à attirer des chercheurs
engagés idéologiquement, qui pourraient ainsi présenter un biais
idéologique dans la façon dont ils mènent leurs travaux et
interprètent leurs résultats. Mais c'est à la communauté
scientifique dans son ensemble de pondérer et corriger ce biais, en
assurant un pluralisme de travaux et de points de vue, dont
ressortira une vérité scientifique. D'un autre coté, il faut en
effet faire attention à la façon dont certains groupes politiques
pourraient vouloir récupérer les gender studies pour
« prouver » leur doctrine, de la même manière que les
politiques ont pour pratique courante de vouloir démontrer que leur
doctrine économique est « prouvée scientifiquement comme la
seule possible » (mais si, ils l'ont tous fait, que ce soit par
l'avis d'experts pour par un recours hasardeux au « pragmatisme »
et au fameux « principe de réalité » visant à
court-circuiter tout débat en assénant une vérité unique).
Mais cela nous fait
entrer dans un autre débat, celui de la tentative de récupération
politique des sciences, par des personnes qui trop souvent non
seulement ne sont pas formées à comprendre et interpréter certains
résultats scientifiques mais surtout sont loin de toute tentative de
recherche d'une vérité scientifique et cherchent surtout à tordre
la science pour imposer leur discours à la population. Un
comportement malheureusement trop répandu dans l'ensemble de notre
classe politique, et qui n'est pas un problème nouveau. Il n'y a une
fois encore qu'à regarder la façon dont certains parlent d'économie
pour comprendre à quel point ils se préoccupent peu de vérité et
de rigueur scientifique.
Toujours est-il que M.
Breton nous présente une nouvelle démonstration de la capacité de
certains élus à vouloir, au nom du combat contre la « pensée
unique », essayer d'imposer leur propre mode de pensée dans
la société, et à considérer les points de vue nouveaux et
émergents comme des pensées dangereuses. Comme quoi de la politique
française contemporaine à la mise en place d'un « Ministère
de la Pensée », il n'y a pas grand chemin à parcourir.
A nous de nous assurer
que ce genre de pas ne soit jamais franchi.
Et la prochaine fois M.
Breton, au lieu de vouloir invoquer une commission d'enquête, donnez
des fonds au laboratoire de sociologie de l'université la plus
proche de chez vous. Ils se chargeront certainement avec plaisir de
travailler sur le sujet et d'organiser un colloque. La plupart des
chercheurs d'ailleurs ne demandent que ça : les moyens de faire
leur travail efficacement, et ils sont certainement plus qualifiés
que vous pour le faire.
Euh, je veux pas non plus te paraître froid mais t'y connais pas grand chose non plus, parce qu'il existe d'autres conceptions que celles de la socio et de la biologie, cher ami. Ce sont des débats très épineux decidemment ou tu veux te lancer... Et tu veux importer ces saloperies en France? Et ben...
RépondreSupprimerOui, ça va plus loin que de la socio et de la bio. Le système français de découpage en champs disciplinaires cloisonnés peine parfois à intégrer certains champs de recherche (avec le jeu vidéo j'en sais quelque chose).
SupprimerMaintenant de là à traiter ça de saloperie... Comment dire. J'ai suffisamment de respect pour le travail de mon confrère pour éviter de leur adjoindre ce genre de qualificatifs.