Je n'ai pas eu beaucoup
de temps pour écrire ces dernières semaines, fin de semestre
chargée. Et pour tout dire à la base j'avais prévu de reprendre ce
mois de janvier par un billet sur le projet de loi qui va encore une
fois réformer et sauver l'enseignement supérieur français, comme
tous les projets précédents. Mais il s'est passé quelque chose qui
a changé la donne, et qui court-circuite tout le reste.
Ce qu'il s'est passé,
c'est que Aaron
Swartz est mort.
Je ne ferai pas semblant
d'avoir connu A. Swartz depuis des années et d'avoir suivi son
travail avec attention. Comme au final beaucoup parmi nous, je n'ai
pris connaissance de son existence qu'au moment où elle s'est
tragiquement éteinte. Je n'entrerai pas non plus dans les débats
futiles quand à savoir s'il a vraiment été pilier de la création
de RSS ou simple aide annexe, ou sur la part exacte et chiffrée
qu'il a tenue dans la fondation de Reddit. Parce que ces
considérations sont finalement secondaires pour le moment. Ce qui
compte, c'est que c'était un passionné, quelqu'un qui aimait
l'informatique, voulait la faire évoluer, et voulait partager cette
évolution avec le reste du monde, et que le monde lui est tombé
dessus et l'a accablé pour ça.
Aaron Swartz a enfreint
un tabou important en s'attaquant à ce qu'il y a actuellement de
plus honteux dans notre économie mondiale de la recherche
scientifique : il a osé sortir des
articles scientifiques appartenant officiellement à des revues
payantes pour les diffuser gratuitement. En faisant cela, il a pointé
l'ineptie de cette économie du savoir qui permet à quelques maisons
d'édition de gagner leur vie sur le travail des chercheurs et à
travers eux sur l'argent des étudiants et des contribuables.
Il faut comprendre que
depuis des années, le mot d'ordre de la recherche mondiale est
publish or perish : pour
exister, il faut publier, c'est à dire écrire des articles
scientifiques et les faire publier dans diverses conférences et
revues spécialisées, de façon à montrer que l'on est un chercheur
« productif ». Depuis des années, on ne parle plus que
de nombre de publications par an, d'impact factor,
de nombre de citations et de h index.
Cette frénésie d'écriture, qui tient autant de l'exercice de
communication continue que de recherche elle-même (savoir où
soumettre, qui citer, quoi dire pour être accepté, lu et repris) a
ainsi encouragé une véritable économie de l'édition scientifique,
poussant en avant les conférences et les revues qui fonctionnent sur
le travail bénévole des chercheurs.
Comment
ça se passe ? Prenons l'exemple d'une revue scientifique :
cette revue va lancer un appel à soumissions d'articles qu'elle va
relayer à travers la communauté scientifique (listes de diffusions,
carnets d'adresses, forwards de forwards de forwards, etc.). Des
chercheurs touchant au domaine concerné vont alors voir l'occasion
de remplir leur quota de publications scientifiques, et seront
d'autant plus motivés que la revue sera réputée et lue. Ces
chercheurs vont donc soumettre des articles, qui seront alors relus,
commentés et approuvés (ou rejetés) par un comité scientifique :
des chercheurs assez reconnus dans leur branche pour qu'on leur
propose l'insigne honneur (bénévole) de relire et commenter le
travail de leurs confrères.
Si
un article est accepté, son auteur sera amené à y apporter
quelques corrections proposées par les relecteurs (2 ou 3 relecteurs
différents par article) et à le mettre en forme en suivant une
feuille de style fournie par l'éditeur de la revue. L'article sera
alors intégré à la revue, qui sera elle vendue (à l'article, au
numéro, ou par abonnement) à toute personne ou laboratoire qui se
montrera intéressée.
Et
bien entendu vous avez déjà compris : à aucun moment il n'est
envisagé que les auteurs d'articles, leurs employeurs (laboratoires
ou universités) ou les relecteurs du comité scientifique ne soient
rémunérés. Tout le contenu est fourni bénévolement par des
scientifiques qui « font leur métier » et les revenus
vont intégralement à la maison d'édition (qui se charge de la
communication, coordination et publication, c'est à dire uniquement
les services annexes).
Les auteurs sont ainsi invités à signer des cessions de droit sur leurs articles, en échange du privilège d'être publiés. Tout au plus auront-ils un exemplaire de la revue offert (ce qui est une plus-value extrêmement intéressante quand le laboratoire de l'auteur est déjà abonné à la revue). Si cela n'est pas une forme de copyright madness, qu'est-ce que c'est ?
Les auteurs sont ainsi invités à signer des cessions de droit sur leurs articles, en échange du privilège d'être publiés. Tout au plus auront-ils un exemplaire de la revue offert (ce qui est une plus-value extrêmement intéressante quand le laboratoire de l'auteur est déjà abonné à la revue). Si cela n'est pas une forme de copyright madness, qu'est-ce que c'est ?
Et
encore, au moins avec les revues les auteurs n'ont pas à payer pour
être publiés.
Parce
que quand on s'intéresse aux conférences scientifiques, le
fonctionnement est le même, à ceci près que toute acceptation
d'article est subordonnée au fait qu'au moins un des auteurs
s'inscrive à la conférence et s’acquitte par conséquent des
frais d'inscription complets incluant généralement la participation
à 3 journées de présentations (chaque auteur étant appelé à
présenter son article pendant un talk
d'une vingtaine de minutes), les repas sur place et un exemplaire des
proceedings de la
conférence (la version écrite des articles). Oui, vous lisez bien,
les auteurs doivent payer pour être publiés et avoir le privilège
de présenter leurs travaux devant un auditoire composé à 90%
d'autres auteurs (parce qu'à environ 1000€ par personne tout
inclus un laboratoire n'a pas toujours les moyens d'envoyer ses
chercheurs simplement assister à des conférences sans publier).
Il
est vrai que certaines conférences sont organisées directement par
des universités (et si elles s'avèrent rentables elles permettront
aux laboratoires organisateurs d'engranger un peu d'argent permettant
de financer les futurs déplacements de leurs chercheurs), mais de
plus en plus (en tout cas en informatique), les conférences qui
comptent sont associées à des maisons d'édition célèbres pour la
publication des fameux proceedings
(la série des Lecture
Notes in Computer Sciences de Springer en est un parfait exemple).
Personnellement
je suis un chercheur travaillant dans un établissement public, mon
salaire venant du contribuable français. Je considère qu'en effet
écrire des articles scientifiques fait partie de mon travail et je
ne demande pas à être spécifiquement rémunéré pour cela (juste
à avoir du temps et des moyens pour faire mon travail, mais c'est un
autre débat). Par contre travaillant pour le public, je ne vois pas
quelle raison peut justifier que mes travaux ne soient accessibles
qu'à des personnes ou établissements payant une redevance auprès
de structures privées qui ne participent en rien à ma recherche.
Mon travail appartient à la communauté, et devrait être diffusé
librement à toutes et à tous.
C'est
pour cela que j'approuve ce qu'à fait Aaron Swartz au MIT. Les
articles qu'il a téléchargé pour les redistribuer n'auraient
jamais du être en accès limité au départ. Qu'il ait été accablé
pour cela est une démonstration magnifique de ce que notre système
de recherche a de plus ubuesque et de plus aberrant.
C'est
pour cela que, suivant la voie de nombreux confrères depuis ce
week-end, mes prochaines publications scientifiques seront toutes
mises en ligne gratuitement et en libre accès peu après leur
publication, et il est très probable que mes anciennes publications
le soient aussi prochainement (même si pour cela je demanderai tout
de même l'autorisation aux autres auteurs avec qui j'ai travaillé,
un chercheur ne publie presque jamais seul).
La
mise en ligne ne se passera pas sur ce blog, je le ferai sur ma page
professionnelle standard, hébergée par le site de mon université.
Et
si une maison d'édition trouve à y redire, et bien on en redira.
t'es un rebelle ^^
RépondreSupprimersinon j'espère que ça va continuer à faire boule de neige cette histoire.
tiens, l'horloge du site a 11h de retard on dirait
RépondreSupprimerJe n'ai pas encore vérifié pourquoi mais il semblerait que la plate-forme de blog me situe dans un autre fuseau horaire. C'est certainement pour tromper la vigilance des trop curieux.
Supprimerc'est cool comme ça on peut croire que tu te lève tôt !
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