Il n'aura certainement
échappé à personne que pendant que nous savourons avec délice cet
hiver dont beaucoup pensaient qu'il n'en finirait jamais de venir,
l'ensemble des députés du pays se sont réunis pour échanger et
s'affronter sur ce champ de bataille épique qu'est l'assemblée
nationale, ce afin de savoir si finalement oui ou non les personnes
de même sexe auraient le droit de se marier entre elles, avec tout
ce que cela entraîne.
Je ne fais pas ce billet
pour discuter de la question du « mariage pour tous ».
J'admets y être favorable, mais ce n'est pas la question qui
m'intéresse ici. Le point central de ce billet est surtout un
argument que j'ai entendu plusieurs fois lors des débats de ces
derniers jours (oui, on peut suivre l'intégralité des séances
publiques grâce au site dédié de l'Assemblée Nationale, et c'est
un exercice que je conseille à tous) et qui m'interpelle vivement,
tant par sa propension à revenir encore et encore dans les propos,
et dans l'erreur surprenante qu'il me paraît contenir.
Cet argument, c'est celui
dit « de la loi naturelle », qui fut à un moment tant
répété que certains se sont demandés si
un certain vieux parti n'avait pas finalement réussi à s'infiltrer
dans l'hémicycle en douce.
Cet argument suppose
visiblement que le gouvernement viserait à enfreindre les lois de la
nature par ses réformes, ce qui serait donc mal. Et pour tout dire,
tout il me laisse perplexe.
Tout d'abord parce que je
vois mal comment le législateur pourrait réussir à changer les
lois de la nature par le simple fait de lois et de décrets. Le
gouvernement pourrait bien faire voter qu'à l'avenir la gravité est
nulle et non avenue et qu'il fera 35 degrés à l'ombre en hiver, je
ne pense pas que cela nous amène à aller travailler demain en apesanteur et en short. L'explication complète
doit donc être que certaines lois visent à autoriser des pratiques
scientifiques qui elles ne respectent pas les lois de la nature, mais
là encore, ce raisonnement pose soucis.
Si l'on considère que
les lois de
la nature sont des lois scientifiques, il apparaît que
contrairement à ce que certains pensent, la science permet de les
préciser, et certainement jamais de les enfreindre. Le propre de la
science est de comprendre et connaître le monde et d'en cerner et
décortiquer toutes les subtilités (même si parfois certaines
subtilités ne survivent pas à la façon de les décortiquer, mais
c'est un débat à part). Descendant de façon de plus en plus
profonde dans la compréhension des mécaniques qui font tourner ce
monde, la science ne saurait à aucun moment violer les règles de la
nature qu'elle entend étudier, elle n'en serait tout bonnement pas
capable. Tout au plus peut-elle nous apporter quelques surprises, en
nous faisant réaliser que ce qui semblait impossible est finalement
envisageable, et que ce qui semblait certain n'est pas toujours
vérifié. La science n'a par exemple jamais enfreint la loi de la
gravité, mais elle a permis de trouver d'autres forces, tout aussi
« naturelles » qui nous permettent de faire voler des
avions et d'envoyer des fusées dans l'espace. Et les mécanismes
permettant de le faire étaient déjà présents dès le Big Bang, il
nous a juste fallu du temps pour les découvrir et les apprivoiser.
Ainsi, si la nature a ses lois, alors les scientifiques en sont les
patients juristes, cherchant à la comprendre et l'interpréter. A
ceci près que si un scientifique s'égare trop dans ses
interprétations, la réalité a tôt fait de lui démontrer son
erreur, sans avoir recours à un juge. Sur cet effet, la nature est
sans appel.
Maintenant il est aussi
possible que ces fameuses « lois de la nature » fassent
référence à une sorte d'état naturel du monde, qui serait sans
cesse contredit par les constructions artificielles de l'homme. Comme
si l'homme ne faisait pas partie de la nature et du monde, comme si
la nature n'était pas déjà le point d'équilibre d'une multitudes
d'interactions, toutes artificielles à leur manière. Comme si la
ruche d'un essaim ou une colonie de coraux étaient plus naturels par
essence. Cet état d'esprit reviendrait alors à renier tout ce qui
est produit par l'homme, sous prétexte que c'est contraire à la
nature première, comme si nous n'avions pas justement passé
quelques dizaines de milliers d'années à nous écarter autant que
possible de l'état primitif. Il s'agit donc peut-être finalement
d'un argument hautement traditionaliste, visant à dire que les
choses ont toujours été d'une certaine façon, et donc qu'elles ne
devaient pas changer, parce qu'elles n'avaient pas changé
auparavant. Vous noterez la subtilité de cette logique et la joie
que peut ainsi procurer sa généralisation.
Au final, je tiens tout
de même à préciser que je ne considère pas que le fait de
découvrir grâce à la science de nouvelles possibilités implique
de forcément y recourir. La science ne fait que créer des
possibles, parmi lesquels nous devons décider sur quelle voie nous
orienter, que conserver et que refuser. C'est justement le principe
de la loi des hommes, celui d'un choix de société.
Donc s'il vous plaît,
Mesdames et Messieurs les députés, occupez vous d'écrire
collectivement la loi des hommes, et laissez la nature aux bons soins
des scientifiques. Promis, nous veillerons sur elle avec la plus
grande attention.
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