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mercredi 18 mars 2015

Carthago delenda est

Partout dans le Royaume de France et de Navarre, et surtout de l’Éducation Nationale, c'est la crise, le grondement, c'est l'appel au ban et à l'arrière-ban, la guerre sainte, la croisade, la cause de toutes les causes. Et pour raison, puisque ce sont les racines latines et grecques de l'enseignement qui sont attaquées.
De cette réforme, on ne sait encore pas grand chose. Les options facultatives et emblématiques que sont latin et grec ancien au collège seraient remises en causes, pour être intégrées dans de nouveaux enseignements interdisciplinaires à la nature encore floue (et dont je n'ai pas compris si elles seraient de tronc commun ou optionnelles). Cela suffit en tout cas à réveiller tous les défenseurs des langues anciennes scolaires, tant il est vrai qu'il n'y a rien de plus à craindre venant du Ministère de l’Éducation Nationale qu'une réforme dont on ne connaît pas le contenu exact (ceci n'est pas un sarcasme, des années de pratique universitaire m'ont démontré que le gouvernement ajoute toujours en dernier moment des petites lignes dans le contrat, et pas des comme on aime). Et dans ce maelström argumentatif se mêlent étrangement réflexes poujadistes certes (parfois aux relents nationalistes ), mais aussi vraies remarques et réflexions sur l'intérêt des langues anciennes dans la formation des élèves. Et en effet des points positifs il y en a, beaucoup. Tout comme il y en aurait à étudier d'autres arts que ceux musicaux et plastiques, à faire de l'astrophysique, de l'informatique, plus de mathématiques, etc.

Parce que le problème c'est que tous ces arguments, même si certains font tout à fait sens, tapent à coté de la question.

La question importante n'est pas celle de l'utilité « dans l'absolu » mais celle de l'opportunité et de la stratégie. Il convient de se demander en quoi sous leur forme actuelle l'étude des langues anciennes participe de la bonne formation des élèves, en quoi elle constitue un rouage de la politique d'enseignement public, et en quoi et comment il peut être pertinent d'appuyer ou non sur ces éléments de formation.
Et c'est autour de cette question qu'arrivent les vrais problèmes, car si oui les langues anciennes sont un apport, elles sont dans notre système éducatif actuel un apport mal amené, et l'objet d'un détournement au service de ce qui est le vrai fléau de notre société : l'élitisme scolaire.
Latin et Grec ancien sont en effet non seulement des disciplines tout à fait intéressantes, mais aussi (et malheureusement surtout) un moyen de commencer à faire ressortir un ensemble d'élèves comme étant « les bons », ceux qui ont déjà de bons résultats, ceux qui ont la marge de manœuvre pour approfondir, ceux qui ont la capacité de travail, ceux qui du coup vont apprendre plus (voir à ce sujet cet excellent billet d'Alexandre Delaigue sur signal et capital humain). Ce n'est un secret pour personne : faire du Latin, du Grec ancien (et de l'Allemand) ça « ouvre des portes », ça mène « dans les bonnes classes » et ça augmente à terme la probabilité d'effectuer la partie supérieure de sa formation dans le système « Classe Prépa puis Grande École » plutôt que dans les filières professionnelles. C'est l'occasion, dès la fin de 5me (donc quand les élèves ont environ 12 ans) de séparer une cohorte qui sera « la future élite latiniste et helléniste » de celle des vulgi discipuli.
Cet élitisme par les langues anciennes a ceci d'autant plus contestable que comme il prend la forme d'options facultatives, il implique que le système éducatif va mettre plus de moyens (car plus d'heures d'enseignements) sur ces élèves qui sont déjà reconnus comme meilleurs que les autres. Cette pratique, que certains drapent derrière l'étendard hypocrite de la méritocratie, est révélatrice d'une idéologie non assumée de notre système d'enseignement : détacher tôt un groupe de tête, à qui l'on va apporter moyens particuliers (classes européennes, options de langues anciennes, puis classes préparatoires, grandes écoles, etc.) et pousser au plus loin pour en faire « l’Élite de la Nation », ceux qui auront la meilleure formation, le taux de chômage le plus faible, les prétentions salariales les plus élevées, les réseaux les plus intéressants. Si l'on croise ceci avec une analyse des classes socioprofessionnelles d'origine des élèves ainsi mis en avant (je n'ai pas de chiffres sous la main, mais si vous avez, qu'ils me confirment ou m'infirment, je suis preneur), on ne doit pas être loin du constat de la mise en place d'une véritable aristocratie républicaine (et oui il y a des exceptions, mais au Moyen-Age aussi les seigneurs anoblissaient des roturiers méritants).
Ainsi, le Latin et le Grec Ancien sont en soi des disciplines tout à fait appréciables et dont les apports sont réels pour les élèves, le vrai souci repose sur la façon dont elles sont intégrées dans les parcours scolaires et l'usage détourné qui en fait par notre société. Il faut avant tout se demander si nous avons vraiment besoin de cette « élite » des grandes écoles françaises (vous devez déjà commencer à entrevoir mon avis sur la question), et quelle politique de formation nous voulons développer : des moyens absolument égaux pour tous, des moyens renforcés en compensation pour les publics les moins favorisés parce que « les bons seront bons de toute façon », ou des moyens renforcés pour les déjà brillants « parce qu'une fois au sommet ils tireront le reste de la société en avant ».
Il faudra donc en premier lieu s'interroger sur ce système éducatif qui à l'âge de 12 ans (parfois même avant) trace le destin d'enfants en fonction de leur milieu familial et de leurs préférences scolaires, sur ce système qui fait remonter de plus en plus jeune la pression de la réussite sur des enfants qui n'ont absolument pas demandé à hériter si jeunes des angoisses de leurs parents, sur ce système qui clame haut et fort qu'il cherche à gommer les inégalités alors qu'il ne fait en réalité que les creuser de plus en plus au fil des années.

Une fois que nous aurons répondu à cette question nous pourrons nous reposer celle de définir quels savoirs sont prioritaires à développer (parce que non, tout ne peut pas être une priorité, il faudra assumer de faire des choix parfois difficiles par moments) et sous quelle modalité (tronc commun, options à choix, activités périscolaires, etc.). Mais aucune configuration ne pourra être efficace tant que les systèmes d'enseignements secondaire et supérieur seront basés sur la sélection, car tout choix sera au final détourné pour en faire un critère d'élitisme.

Les langues anciennes sont des matières qu'il faut respecter, elles ont énormément à apporter aux enfants. Ce ne sont ni le Latin ni le Grec Ancien le vrai problème.

Parce que ce ce n'est pas Rome ou Athènes qu'il faut détruire.

Ce qu'il faut détruire, c'est Carthage.

vendredi 2 août 2013

Best served cold

Si je porte une certaine affection aux serpents de mer, il faut également noter qu'en tant que blogueur sans inspiration je nourris un certain attrait pour les marronniers, tant ils aident à trouver des idées de billets sans trop avoir à se fouler (il faudra d'ailleurs à l'occasion que j'essaie de cuisiner du serpent de mer aux marrons, voilà qui pourrait me valoir la notoriété culinaire qui manque à ce blog). Je dois cependant concéder que je préfère mes marrons comme je goûte la vengeance et le gaspacho : glacés, et avec un zeste de citron. Je vais donc profiter des températures estivales pour vous rafraîchir avec un marronnier qui a pris le temps de reposer un peu : celui du baccalauréat.
Pour tout vous dire, le point de départ de ce billet est venu d'une discussion sur twitter avec l'un de mes compagnons d'aventure de longue date. Alors que tout ce que le petit monde de l'internet français compte de personnes sachant écrire commentait l'annonce du taux de réussite officiel de l'année (une bonne cuvée, assurément), et surtout s'attristait du fait que ce taux de réussite supérieur à 90% ne pouvait signifier qu'une baisse de niveau. Je relevais à quel point cette réaction était la preuve d'un conditionnement fort de tout le pays au concept de la constante macabre.

La constante macabre est une notion nous venant d'André Antibi, enseignant et chercheur en didactique. Cette notion peut se résumer à l'idée qu'un enseignant évaluant un ensemble d'élèves se sentira toujours « obligé » de mettre une certaines quantité de mauvaises notes, indépendamment du niveau réel de l'échantillon d'élèves évalués. Cette « obligation », fortement liée à la longue tradition de « machine à sélectionner » de notre système d'enseignement, fait qu'un enseignant qui ne se montre pas assez méchant sera taxé de complaisance et de laxisme et, à l'échelle nationale, que toute augmentation du taux de réussite à cette grand-messe qu'est le baccalauréat ne peut signifier qu'une chose : la baisse du niveau d'exigence. Oui, parce que pour que la nation entière se reconnaisse dans ce rituel académique, il faut que 15 à 20% de notre jeunesse y échoue chaque année. Pas de rituel sans sacrifice de rigueur.
Je ne nie pas que la question de la « baisse générale » du niveau scolaire soit un sujet auquel il faille être attentif, mais il se caractérise moins par le taux de réussite au baccalauréat que par la baisse de la France dans les évaluations PISA et du décrochage sensible entre le niveau des neo-bacheliers et les attentes du milieu universitaire. Le fait qui me dérange est que du point de vue du grand public, il ne semble pas pouvoir exister d'autre explication à ce taux de réussite élevé qu'une baisse du niveau d'exigence. Personne ne viendra se dire que les candidats de cette année étaient d'un meilleur niveau global, ou qu'ils étaient dans l'ensemble mieux préparés, ou que les épreuves étaient en meilleure adéquation avec les programmes de terminale, ou que grâce à une meilleure orientation on a évité d'envoyer à la boucherie des élèves dont le profil ne correspondait pas au diplôme ou toute explication « positive » de la question. Pour la majorité, le niveau de notre jeunesse est un élément fixe d'année en année, ou ne peut aller que vers le bas et la variation du taux de réussite à un examen national ne peut s'expliquer que par une baisse d'exigence, point barre. Partant de ce constat, toute politique d'enseignement est donc de facto vouée à l'échec : quand bien même elle produirait des résultats positifs, ils seraient niés. Il ne reste donc qu'à mettre la clé sous la porte et attendre tranquillement en recyclant les commentaires d'une année sur l'autre.

Maintenant, de cette remarque initiale est ensuite venue une autre discussion, là encore assez saisonnière, sur le rôle du baccalauréat au sein de notre système éducatif et de notre société entière.
Pour rappel, le baccalauréat est historiquement et officiellement le premier diplôme de l'enseignement supérieur, à savoir un diplôme signifiant que son titulaire est apte à entrer à l'université ou dans une formation de niveau universitaire (classe préparatoire, BTS, DUT, etc.). Le hic, c'est que cette dénomination de « diplôme du supérieur » n'est en réalité qu'une dénomination d'apparat : que ce soit pour la rédaction des sujets ou l'évaluation, tout le travail est réalisé par des enseignants du secondaire, encadrés par des personnels du Ministère de l’Éducation Nationale, et suivant des directives relevant de l'EN. Le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, pourtant normalement compétent sur toutes les questions liées à l'enseignement supérieur, n'intervient à ma connaissance pas dans la procédure, et les universitaires ne sont finalement présents qu'à des positions relativement symboliques dans le système (présidence de commission ou de jury) et sont toujours bien encadrés.
Le fait est que quoi qu'en disent certains, le bac est bel et bien dans les faits un examen de « fin d'études secondaires » qui ne répond pas particulièrement aux attentes du supérieur. C'est le marqueur d'une scission forte qui existe et demeure entre ces deux mondes que sont l'université et le milieu scolaire, et dont les premières victimes sont nos étudiants, qui découvrent en arrivant en amphi que ce sacro-saint Bac les a préparés à tout, sauf à l'université. Le comble de cette séparation se trouvant dans l'idée qu'a eu à une époque le gouvernement de créer un Baccalauréat Professionnel, qui est par définition un diplôme de formation professionnelle mais qui parce qu'il a été appelé bac laisse miroiter pour de nombreux jeunes la possibilité d'une poursuite d'études à l'université qui relève généralement du cauchemar.

A cela certaines voix dans les universités clament qu'il faudrait entériner ce caractère « diplôme de fin de secondaire » du bac en permettant à coté aux universités de mettre en place une sélection de leurs étudiants. Après tout, beaucoup de filières pratiquent déjà la sélection (sur concours ou dossiers) et s'en tirent pas mal du tout. Malheureusement, plus le bac s'éloignera des attentes universitaires, plus les faits donneront raison aux tenants de cette logique de sélection.
Je dis bien malheureusement, parce que ce serait à mon sens la pire voie à suivre : d'une part elle ajouterait une couche d'examens/dossiers/sélection sur la tête de lycéens qui franchement ont bien d'autres choses à faire à 17/18 ans que de stresser pour leur avenir. D'autre part une telle sélection, pilotée par chaque université dans le contexte de concurrence qu'est la LRU, ne pourrait aboutir qu'à favoriser des stratégies locales d'universités voulant s'en sortir et creuser le fossé entre « celles qui attirent et font le tri » et « celles qui prennent ceux qui veulent bien venir ». Ce serait un dernier clou dans le cercueil de l'égalité des diplômes français, et notre système d'enseignement supérieur n'a pas besoin de cela en ce moment.
Une autre piste, serait a contrario de réinvestir les universitaires dans la supervision et la préparation du baccalauréat. En permettant aux universités d'avoir une partie prenante plus forte non seulement dans la préparation des sujets et leur évaluation (ce qui impliquerait bien entendu d'apporter une compensation à ceux qui prendraient sur leur temps de recherche et d'enseignement pour s'investir dans ces taches) mais aussi pour réussir le tout d'avoir un rôle plus important dans la définition des programmes et des connaissances/compétences attendues de la part des lycéens.
Le principal défaut de cette orientation, outre l'aspect financier bien entendu, serait qu'il faudrait que le ministère de l'éducation nationale et ses agents acceptent de céder en partie leur contrôle des programmes d'enseignement et donc le contrôle de la politique d'enseignement scolaire aux enseignants de l'université, ce qui ne se ferait évidemment pas sans friction (et je comprends très bien que les enseignants du secondaire n'aient pas envie d'être dessaisis de leur compétence au profit d'universitaires souvent très distants des problématiques du lycée).

En attendant nous verrons bien à la rentrée ce que donneront les étudiants nous arrivant de la cuvée 2013. Parce que qu'ils soient meilleurs ou moins bons que leurs prédécesseurs, nous devons les former et leur faire atteindre un niveau avec lequel nous serions bien en peine de mégoter. Les employeurs en fin de chaine n'en ont rien à faire que le bac ait été plus ou moins bon, ils attendent du DUT un certain niveau de fiabilité, et nous le maintiendrons.