vendredi 2 août 2013

Best served cold

Si je porte une certaine affection aux serpents de mer, il faut également noter qu'en tant que blogueur sans inspiration je nourris un certain attrait pour les marronniers, tant ils aident à trouver des idées de billets sans trop avoir à se fouler (il faudra d'ailleurs à l'occasion que j'essaie de cuisiner du serpent de mer aux marrons, voilà qui pourrait me valoir la notoriété culinaire qui manque à ce blog). Je dois cependant concéder que je préfère mes marrons comme je goûte la vengeance et le gaspacho : glacés, et avec un zeste de citron. Je vais donc profiter des températures estivales pour vous rafraîchir avec un marronnier qui a pris le temps de reposer un peu : celui du baccalauréat.
Pour tout vous dire, le point de départ de ce billet est venu d'une discussion sur twitter avec l'un de mes compagnons d'aventure de longue date. Alors que tout ce que le petit monde de l'internet français compte de personnes sachant écrire commentait l'annonce du taux de réussite officiel de l'année (une bonne cuvée, assurément), et surtout s'attristait du fait que ce taux de réussite supérieur à 90% ne pouvait signifier qu'une baisse de niveau. Je relevais à quel point cette réaction était la preuve d'un conditionnement fort de tout le pays au concept de la constante macabre.

La constante macabre est une notion nous venant d'André Antibi, enseignant et chercheur en didactique. Cette notion peut se résumer à l'idée qu'un enseignant évaluant un ensemble d'élèves se sentira toujours « obligé » de mettre une certaines quantité de mauvaises notes, indépendamment du niveau réel de l'échantillon d'élèves évalués. Cette « obligation », fortement liée à la longue tradition de « machine à sélectionner » de notre système d'enseignement, fait qu'un enseignant qui ne se montre pas assez méchant sera taxé de complaisance et de laxisme et, à l'échelle nationale, que toute augmentation du taux de réussite à cette grand-messe qu'est le baccalauréat ne peut signifier qu'une chose : la baisse du niveau d'exigence. Oui, parce que pour que la nation entière se reconnaisse dans ce rituel académique, il faut que 15 à 20% de notre jeunesse y échoue chaque année. Pas de rituel sans sacrifice de rigueur.
Je ne nie pas que la question de la « baisse générale » du niveau scolaire soit un sujet auquel il faille être attentif, mais il se caractérise moins par le taux de réussite au baccalauréat que par la baisse de la France dans les évaluations PISA et du décrochage sensible entre le niveau des neo-bacheliers et les attentes du milieu universitaire. Le fait qui me dérange est que du point de vue du grand public, il ne semble pas pouvoir exister d'autre explication à ce taux de réussite élevé qu'une baisse du niveau d'exigence. Personne ne viendra se dire que les candidats de cette année étaient d'un meilleur niveau global, ou qu'ils étaient dans l'ensemble mieux préparés, ou que les épreuves étaient en meilleure adéquation avec les programmes de terminale, ou que grâce à une meilleure orientation on a évité d'envoyer à la boucherie des élèves dont le profil ne correspondait pas au diplôme ou toute explication « positive » de la question. Pour la majorité, le niveau de notre jeunesse est un élément fixe d'année en année, ou ne peut aller que vers le bas et la variation du taux de réussite à un examen national ne peut s'expliquer que par une baisse d'exigence, point barre. Partant de ce constat, toute politique d'enseignement est donc de facto vouée à l'échec : quand bien même elle produirait des résultats positifs, ils seraient niés. Il ne reste donc qu'à mettre la clé sous la porte et attendre tranquillement en recyclant les commentaires d'une année sur l'autre.

Maintenant, de cette remarque initiale est ensuite venue une autre discussion, là encore assez saisonnière, sur le rôle du baccalauréat au sein de notre système éducatif et de notre société entière.
Pour rappel, le baccalauréat est historiquement et officiellement le premier diplôme de l'enseignement supérieur, à savoir un diplôme signifiant que son titulaire est apte à entrer à l'université ou dans une formation de niveau universitaire (classe préparatoire, BTS, DUT, etc.). Le hic, c'est que cette dénomination de « diplôme du supérieur » n'est en réalité qu'une dénomination d'apparat : que ce soit pour la rédaction des sujets ou l'évaluation, tout le travail est réalisé par des enseignants du secondaire, encadrés par des personnels du Ministère de l’Éducation Nationale, et suivant des directives relevant de l'EN. Le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, pourtant normalement compétent sur toutes les questions liées à l'enseignement supérieur, n'intervient à ma connaissance pas dans la procédure, et les universitaires ne sont finalement présents qu'à des positions relativement symboliques dans le système (présidence de commission ou de jury) et sont toujours bien encadrés.
Le fait est que quoi qu'en disent certains, le bac est bel et bien dans les faits un examen de « fin d'études secondaires » qui ne répond pas particulièrement aux attentes du supérieur. C'est le marqueur d'une scission forte qui existe et demeure entre ces deux mondes que sont l'université et le milieu scolaire, et dont les premières victimes sont nos étudiants, qui découvrent en arrivant en amphi que ce sacro-saint Bac les a préparés à tout, sauf à l'université. Le comble de cette séparation se trouvant dans l'idée qu'a eu à une époque le gouvernement de créer un Baccalauréat Professionnel, qui est par définition un diplôme de formation professionnelle mais qui parce qu'il a été appelé bac laisse miroiter pour de nombreux jeunes la possibilité d'une poursuite d'études à l'université qui relève généralement du cauchemar.

A cela certaines voix dans les universités clament qu'il faudrait entériner ce caractère « diplôme de fin de secondaire » du bac en permettant à coté aux universités de mettre en place une sélection de leurs étudiants. Après tout, beaucoup de filières pratiquent déjà la sélection (sur concours ou dossiers) et s'en tirent pas mal du tout. Malheureusement, plus le bac s'éloignera des attentes universitaires, plus les faits donneront raison aux tenants de cette logique de sélection.
Je dis bien malheureusement, parce que ce serait à mon sens la pire voie à suivre : d'une part elle ajouterait une couche d'examens/dossiers/sélection sur la tête de lycéens qui franchement ont bien d'autres choses à faire à 17/18 ans que de stresser pour leur avenir. D'autre part une telle sélection, pilotée par chaque université dans le contexte de concurrence qu'est la LRU, ne pourrait aboutir qu'à favoriser des stratégies locales d'universités voulant s'en sortir et creuser le fossé entre « celles qui attirent et font le tri » et « celles qui prennent ceux qui veulent bien venir ». Ce serait un dernier clou dans le cercueil de l'égalité des diplômes français, et notre système d'enseignement supérieur n'a pas besoin de cela en ce moment.
Une autre piste, serait a contrario de réinvestir les universitaires dans la supervision et la préparation du baccalauréat. En permettant aux universités d'avoir une partie prenante plus forte non seulement dans la préparation des sujets et leur évaluation (ce qui impliquerait bien entendu d'apporter une compensation à ceux qui prendraient sur leur temps de recherche et d'enseignement pour s'investir dans ces taches) mais aussi pour réussir le tout d'avoir un rôle plus important dans la définition des programmes et des connaissances/compétences attendues de la part des lycéens.
Le principal défaut de cette orientation, outre l'aspect financier bien entendu, serait qu'il faudrait que le ministère de l'éducation nationale et ses agents acceptent de céder en partie leur contrôle des programmes d'enseignement et donc le contrôle de la politique d'enseignement scolaire aux enseignants de l'université, ce qui ne se ferait évidemment pas sans friction (et je comprends très bien que les enseignants du secondaire n'aient pas envie d'être dessaisis de leur compétence au profit d'universitaires souvent très distants des problématiques du lycée).

En attendant nous verrons bien à la rentrée ce que donneront les étudiants nous arrivant de la cuvée 2013. Parce que qu'ils soient meilleurs ou moins bons que leurs prédécesseurs, nous devons les former et leur faire atteindre un niveau avec lequel nous serions bien en peine de mégoter. Les employeurs en fin de chaine n'en ont rien à faire que le bac ait été plus ou moins bon, ils attendent du DUT un certain niveau de fiabilité, et nous le maintiendrons.

2 commentaires:

  1. Parce que le serpent de mer ça a l'air goûtu.
    http://www.lemanger.fr/index.php/la-soupe-au-serpent-de-mer/

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    1. Voila une piste à creuser pour mes prochaines vacances. Merci

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