Si je porte une certaine
affection aux serpents de mer, il faut également noter qu'en tant
que blogueur sans inspiration je nourris un certain attrait pour les
marronniers, tant ils aident à trouver des idées de billets sans
trop avoir à se fouler (il faudra d'ailleurs à l'occasion que
j'essaie de cuisiner du serpent de mer aux marrons, voilà qui
pourrait me valoir la notoriété culinaire qui manque à ce blog). Je
dois cependant concéder que je préfère mes marrons comme je goûte
la vengeance et le gaspacho : glacés, et avec un zeste de
citron. Je vais donc profiter des températures estivales pour vous
rafraîchir avec un marronnier qui a pris le temps de reposer un
peu : celui du baccalauréat.
Pour tout vous dire, le
point de départ de ce billet est venu d'une discussion sur twitter
avec l'un de mes compagnons d'aventure de longue date. Alors que tout
ce que le petit monde de l'internet français compte de personnes
sachant écrire commentait l'annonce du taux de réussite officiel de
l'année (une bonne cuvée, assurément), et surtout s'attristait du
fait que ce taux de réussite supérieur à 90% ne pouvait signifier
qu'une baisse de niveau. Je relevais à quel point cette réaction
était la preuve d'un conditionnement fort de tout le pays au concept
de la constante macabre.
La constante
macabre est une notion nous venant d'André Antibi, enseignant et
chercheur en didactique. Cette notion peut se résumer à l'idée
qu'un enseignant évaluant un ensemble d'élèves se sentira toujours
« obligé » de mettre une certaines quantité de
mauvaises notes, indépendamment du niveau réel de l'échantillon
d'élèves évalués. Cette « obligation », fortement
liée à la longue tradition de « machine à sélectionner »
de notre système d'enseignement, fait qu'un enseignant qui ne se
montre pas assez méchant sera taxé de complaisance et de laxisme
et, à l'échelle nationale, que toute augmentation du taux de
réussite à cette grand-messe qu'est le baccalauréat ne peut
signifier qu'une chose : la baisse du niveau d'exigence. Oui,
parce que pour que la nation entière se reconnaisse dans ce rituel
académique, il faut que 15 à 20% de notre jeunesse y échoue chaque
année. Pas de rituel sans sacrifice de rigueur.
Je ne nie pas que la
question de la « baisse générale » du niveau scolaire
soit un sujet auquel il faille être attentif, mais il se caractérise
moins par le taux de réussite au baccalauréat que par la baisse de
la France dans les évaluations PISA et du décrochage sensible entre
le niveau des neo-bacheliers et les attentes du milieu universitaire.
Le fait qui me dérange est que du point de vue du grand public, il
ne semble pas pouvoir exister d'autre explication à ce taux de
réussite élevé qu'une baisse du niveau d'exigence. Personne ne
viendra se dire que les candidats de cette année étaient d'un
meilleur niveau global, ou qu'ils étaient dans l'ensemble mieux
préparés, ou que les épreuves étaient en meilleure adéquation
avec les programmes de terminale, ou que grâce à une meilleure orientation on a évité d'envoyer à la boucherie des élèves dont le profil ne correspondait pas au diplôme ou toute explication « positive »
de la question. Pour la majorité, le niveau de notre jeunesse est un
élément fixe d'année en année, ou ne peut aller que vers le bas
et la variation du taux de réussite à un examen national ne peut
s'expliquer que par une baisse d'exigence, point barre. Partant de ce
constat, toute politique d'enseignement est donc de facto vouée à
l'échec : quand bien même elle produirait des résultats
positifs, ils seraient niés. Il ne reste donc qu'à mettre la clé
sous la porte et attendre tranquillement en recyclant les
commentaires d'une année sur l'autre.
Maintenant, de cette
remarque initiale est ensuite venue une autre discussion, là encore
assez saisonnière, sur le rôle du baccalauréat au sein de notre
système éducatif et de notre société entière.
Pour rappel, le
baccalauréat est historiquement et officiellement le premier diplôme
de l'enseignement supérieur, à savoir un diplôme signifiant que
son titulaire est apte à entrer à l'université ou dans une
formation de niveau universitaire (classe préparatoire, BTS, DUT,
etc.). Le hic, c'est que cette
dénomination de « diplôme du supérieur » n'est en
réalité qu'une dénomination d'apparat : que ce soit pour la
rédaction des sujets ou l'évaluation, tout le travail est réalisé
par des enseignants du secondaire, encadrés par des personnels du
Ministère de l’Éducation Nationale, et suivant des directives
relevant de l'EN. Le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la
Recherche, pourtant normalement compétent sur toutes les questions
liées à l'enseignement supérieur, n'intervient à ma connaissance
pas dans la procédure, et les universitaires ne sont finalement
présents qu'à des positions relativement symboliques dans le
système (présidence de commission ou de jury) et sont toujours bien
encadrés.
Le fait est que quoi
qu'en disent certains, le bac est bel et bien dans les faits un
examen de « fin d'études secondaires » qui ne répond
pas particulièrement aux attentes du supérieur. C'est le marqueur
d'une scission forte qui existe et demeure entre ces deux mondes que
sont l'université et le milieu scolaire, et dont les premières
victimes sont nos étudiants, qui découvrent en arrivant en amphi
que ce sacro-saint Bac les a préparés à tout, sauf à
l'université. Le comble de cette séparation se trouvant dans l'idée
qu'a eu à une époque le gouvernement de créer un Baccalauréat
Professionnel, qui est par définition un diplôme de formation
professionnelle mais qui parce qu'il a été appelé bac laisse
miroiter pour de nombreux jeunes la possibilité d'une poursuite
d'études à l'université qui relève généralement du cauchemar.
A cela certaines voix
dans les universités clament qu'il faudrait entériner ce caractère
« diplôme de fin de secondaire » du bac en permettant à coté
aux universités de mettre en place une sélection de leurs
étudiants. Après tout, beaucoup de filières pratiquent déjà la
sélection (sur concours ou dossiers) et s'en tirent pas mal du tout.
Malheureusement, plus le bac s'éloignera des attentes
universitaires, plus les faits donneront raison aux tenants de cette
logique de sélection.
Je dis bien
malheureusement, parce que ce serait à mon sens la pire voie à
suivre : d'une part elle ajouterait une couche
d'examens/dossiers/sélection sur la tête de lycéens qui
franchement ont bien d'autres choses à faire à 17/18 ans que de
stresser pour leur avenir. D'autre part une telle sélection, pilotée
par chaque université dans le contexte de concurrence qu'est la LRU,
ne pourrait aboutir qu'à favoriser des stratégies locales
d'universités voulant s'en sortir et creuser le fossé entre
« celles qui attirent et font le tri » et « celles
qui prennent ceux qui veulent bien venir ». Ce serait un
dernier clou dans le cercueil de l'égalité des diplômes français,
et notre système d'enseignement supérieur n'a pas besoin de cela en
ce moment.
Une autre piste, serait a
contrario de réinvestir les universitaires dans la supervision et la
préparation du baccalauréat. En permettant aux universités d'avoir
une partie prenante plus forte non seulement dans la préparation des
sujets et leur évaluation (ce qui impliquerait bien entendu
d'apporter une compensation à ceux qui prendraient sur leur temps de
recherche et d'enseignement pour s'investir dans ces taches) mais
aussi pour réussir le tout d'avoir un rôle plus important dans la
définition des programmes et des connaissances/compétences
attendues de la part des lycéens.
Le principal défaut de
cette orientation, outre l'aspect financier bien entendu, serait
qu'il faudrait que le ministère de l'éducation nationale et ses
agents acceptent de céder en partie leur contrôle des programmes
d'enseignement et donc le contrôle de la politique d'enseignement
scolaire aux enseignants de l'université, ce qui ne se ferait
évidemment pas sans friction (et je comprends très bien que les
enseignants du secondaire n'aient pas envie d'être dessaisis de leur
compétence au profit d'universitaires souvent très distants des
problématiques du lycée).
En attendant nous verrons
bien à la rentrée ce que donneront les étudiants nous arrivant de
la cuvée 2013. Parce que qu'ils soient meilleurs ou moins bons que
leurs prédécesseurs, nous devons les former et leur faire atteindre
un niveau avec lequel nous serions bien en peine de mégoter. Les
employeurs en fin de chaine n'en ont rien à faire que le bac ait été
plus ou moins bon, ils attendent du DUT un certain niveau de
fiabilité, et nous le maintiendrons.
Parce que le serpent de mer ça a l'air goûtu.
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Voila une piste à creuser pour mes prochaines vacances. Merci
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