Cette semaine j'achève
avec mes étudiants de 2° année la série de cours et TP sur
l'Internet Protocol version 6. Pour ceux qui ne sont pas spécialistes
de la question informatique, IPv6 (c'est son petit nom) est un
protocole réseau qui est amené à remplacer le protocole IP ayant
cours actuellement (IPv4). Parce que IPv4 est trop vieux, parce qu'il
a été conçu à une époque où les seules machines connectées au
réseau mondial étaient des ordinateurs militaires ou de centres de
recherches, parce qu'il n'y a plus assez d'adresses IP pour
l'ensemble des utilisateurs d'internet dans le monde, parce qu'il est
temps d'aller de l'avant.
Cela fait maintenant cinq
ans que j'enseigne IPv6. Cinq ans que je répète à des étudiants
que IPv6 est l'avenir et que je leur apprends à l'employer. Les
premières années, j'en parlais comme d'un futur inéluctable, de
quelque chose qu'ils devaient apprendre maintenant parce qu'ils s'en
resserviraient forcément d'ici à leur retraite. A présent, j'en parle comme d'un changement urgent, dont ils doivent
être les acteurs en tant que jeunes professionnels de
l'informatique. Avec les déclarations de l'IANA (Internet Assigned Numbers Authority, agence américaine qui supervise la répartition d'adresses IP dans le monde) l'an dernier sur la
pénurie prochaine d'adresses IP, j'ai même hésité à basculer tout mon
cours de première année pour mettre IPv6 en avant et reléguer Ipv4
au rang de « curiosité un peu vieillotte que vous rencontrerez
sûrement mais qu'il ne faut pas encourager ».
Mais il faut regarder un
peu les choses en face : la pénurie est consommée. Certaines
multinationales américaines se rachètent entre elles les derniers
stocks d'adresses inutilisées à prix d'or. Il n'y aura pas assez
d'adresses pour le continent asiatique qui est en train de s'équiper
massivement depuis des années, et je ne parle même pas de l'Afrique
dont l'équipement se fera aussi dans les années qui viennent.
Toutes les conditions sont réunies pour que le basculement se fasse,
mais il n'a pas lieu, pas avec l'ampleur attendue, pas au rythme que
l'on aurait pu croire. Après tout, IPv6 a plus de 13 ans à présent.
Pourquoi cette inertie ?
Tout d'abord parce qu'Internet, comme tout réseau, évolue selon le
chemin de moindre résistance, et qu'IPv6 est un gros chamboulement
dans l'esprit de tous ceux qui ont pour habitude de bidouiller leurs
installations réseaux (alors que pour l'utilisateur lambda, cela ne
changera strictement rien). De même, les FAI et services présents
sur le grand réseau mondial ont eu de lourdes adaptation
d'infrastructures à faire pour préparer cette transition, et que
tout le monde a pris le temps d'observer les autres, histoire de ne
pas partir trop tôt et risquer d'être le dindon de la farce
(imaginez qu'un FAI investisse en 2002 dans des routeurs tous neufs,
et que finalement IPv6 ne vienne pas, ce serait dommage non?).
Le résultat ?
Probablement une solution hybride, consistant à mettre en place un
routage mondial majoritairement en IPv6 avec des terminaisons en IPv4
dans les réseaux locaux et de grands renforts de NAT (dont on
comptait bien se débarrasser) et de tunneling pour faire passer ça.
Certains continueront d'employer IPv4 le plus longtemps possible
parce que « c'est quand même plus pratique pour taper un
ping » et d'autres ne feront simplement jamais la transition
par flemme, attendant que leur ordinateur fasse une mise à jour tout
seul. La révolution préparée et annoncée ne se fera pas si
facilement, et IPv4 ne disparaîtra pas avant de nombreuses années
(à moins qu'on l'y force, mais il faudrait déjà qu'IPv6 devienne
la norme pour ça).
En y réfléchissant, j'ai eu il y a plus de dix ans des cours de programmation en Cobol, avec un enseignant nous expliquant que "ce langage est vieillot et est cours de disparition, mais vous pourriez être amené à le rencontrer un jour, ne serait que pour le maintenir ou le recoder dans un langage plus contemporain". En réalité, aujourd'hui encore, il existe des serveurs qui tournent en Cobol. Comme quoi le monde de l'informatique est parfois très conservateur.
Du coup je vais continuer
à préparer mes étudiants au changement, en consacrant du temps à
leur inculquer des connaissances qui ne seront pas tout de suite
valorisables mais dont je fais le pari qu'elles leur serviront dans
l'avenir. Et j'en profiterai pour leur transmettre l'idée que ce
sera probablement en partie à eux de provoquer ce changement et
d'être moteurs à leur échelle de l'évolution d'internet.
Enfin, je me demande bien
si l'an prochain mon cours de première année se fera en IPv4 ou
IPv6...
Tiens, ça me rappelle des discussions que nous avions eues il y 3 à 4 ans sur ce sujet. Comme quoi, ça n'avance vraiment pas vite tout ça...
RépondreSupprimerAh, et je viens d'aller jeter un œil aux mentions légales et j'ai ri. Décidément, j'adore ce que vous faites !