"Bon, aujourd'hui j'ai cours de 9h à 11h et de 13h30 à 16h. Avec la réunion pédagogique à 17h, le mieux serait qu'on se retrouve vers 11h pour bosser cet article.
- Je ne pourrai pas, on a une visioconférence pour le consortium du projet [Insérer ici un nom de projet scientifique] à 10h, ça risque de durer un moment.
- OK, bah dans ce cas on peut essayer de déjeuner ensemble, comme ça tu me raconteras ce qui s'est dit à la visio.
- On peut faire ça. Sinon tu as relu le dossier pour l'appel à projet ANR ? La deadline est ce soir.
- Ah mince ! Bon, avec un peu de chance, le TP sera calme, je devrai pouvoir relire ça..."
Comme je l'ai expliqué dans mon billet de lundi dernier, une grande partie des enseignants à l'université
combinent deux activités : l'enseignement et la recherche.
Cette association est forte de sens : les chercheurs étant par
fonction chargés de créer (ou d'exhumer) de la connaissance, ils
sont tout indiqués pour diffuser cette connaissance aux étudiants,
assurant que la nouvelle génération reçoive un enseignement de
pointe. Cependant dans la pratique cette combinaison d'activité est
compliquée à tenir en place et maintenir, en grande partie pour des
questions de rythme et de timing.
En effet enseignement et
recherche fonctionnent sur des tempos différents, et réussir à
concilier les deux demande parfois de grands efforts d'équilibriste.
Une vision simple de la question serait de se dire qu'un
enseignant-chercheur consacre la moitié de sa semaine à dispenser
ses enseignements, et consacre l'autre moitié à sa recherche, mais
les choses se règlent rarement aussi simplement.
En pratique les
enseignements courent de septembre à juin (de façon large, ça peut
aussi être d'octobre à mai). Les 192 heures de service (présence
en classe devant les étudiants) se répartissant sur environ 32
semaines de cours, soit 6h par semaine. Si l'on applique la règle
(officielle) consistant à considérer qu'une heure de cours
correspond au total à 4 heures de travail (en ajoutant la
coordination, la préparation, la veille, les corrections, etc.) cela
veut dire que pendant ces 32 semaines l'enseignant chercheur
travaille en moyenne 24h hebdomadaires sur ses enseignements, ne
laissant que 11h hebdomadaires pour la recherche (plus les 20
semaines sans enseignement). De plus il faut voir que les emplois du
temps sont rarement optimaux : des enseignements dispersés sur
quelques jours, avec des creux d'une ou deux heures entre deux cours,
un emploi du temps à géométrie variable en fonction des phases de
l'année (ou au moins des semestres). Les activités d'enseignement
imposent un rythme avec lequel il faut composer. Et encore, quand on
ne se retrouve pas chargé par les heures complémentaires, en
théorie facultative mais dans la pratique presque obligatoires dans
beaucoup d'établissements (qui se voit dire aux étudiants « désolé
mais on annule un quart des cours du semestre, les profs ne veulent
pas faire d'heures supp »?). Les heures complémentaires
s'entassant elles aussi sur les fameuses 32 semaines de cours, on
arrive facilement à un stade où certains enseignants ne trouvent
simplement plus de temps pour autre chose que l'enseignement pendant
une grande partie de l'année, et ne se consacrent à la recherche
que pendant les périodes « de creux ».
Du coté de la recherche
justement, il faut également du temps, et généralement de grandes
plages afin de pouvoir se concentrer sur un sujet. La recherche
n'avance pas à coups d'une heure par-ci une heure par là. En
général pour être efficace en recherche il faut pouvoir y
consacrer des demi-journées ou journées d'activité entières afin
d'avoir le temps de creuser son sujet ou de réaliser une opération
(écriture de code, recherche de documentation, manipulation, etc.)
dans de bonnes conditions. On constate déjà qu'il est donc
difficile de caser des « moments » de recherche dans un
emploi du temps qui souvent ressemble à un gruyère. Certains
établissements réussissent à assurer à leurs
enseignants-chercheurs un emploi du temps aménagé pour faciliter
l'organisation de la recherche, mais ce n'est pas toujours possible
pour des raisons pratiques (il faut bien que les cours aient lieu).
Mais en plus, certaines
périodes de l'activité de recherche demandent clairement un
investissement en temps de quelques jours ininterrompus :
l'écriture d'un article, le déplacement dans une conférence, la
relecture d'une thèse, la rédaction d'un projet scientifique
(indispensable pour avoir les financements permettant d'avancer dans
ses travaux), ces activités sont clairement exigeantes et ne peuvent
pas être menées de façon éparse. Les deadlines en recherche ayant
beau avoir parfois une certaine souplesse (après tout entre pairs
nous nous comprenons), elles constituent des jalons qu'il faut être
en mesure de respecter, ou alors renoncer à certaines parts de son
activité.
Face à cette dualité
des tempos d'enseignement et de recherche, chacun d'entre nous doit
choisir sa stratégie : certains réussissent à faire adapter
leurs enseignements en fonction de leur activité scientifique,
concentrant leurs cours sur une partie de la semaine (ou du semestre)
et en déplaçant quelques uns quand ils ont un déplacement à
effectuer. D'autres essaient de fonctionner par phase, avec un temps
d'enseignement marqué puis un temps consacré exclusivement à la
recherche. D'autres s'efforcent de faire avancer leur recherche les
soirs et les week-ends, réglant le dilemme en mettant de coté leur
vie personnelle (ceux qui ricanent des supposés
enseignants-fainéants ne réalisent pas la chance qu'ils ont de
pouvoir considérer leur journée finie quand ils quittent le bureau
à 19h). Mais dans tous les cas, jongler avec ces tempos différents
(et encore je ne parle pas de la charge administrative) devient une
activité en soi pour les enseignants-chercheurs, et les tendances
récentes tendent à montrer que ce n'est pas près de s'infléchir.
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