mercredi 16 janvier 2013

In Memoriam

Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour écrire ces dernières semaines, fin de semestre chargée. Et pour tout dire à la base j'avais prévu de reprendre ce mois de janvier par un billet sur le projet de loi qui va encore une fois réformer et sauver l'enseignement supérieur français, comme tous les projets précédents. Mais il s'est passé quelque chose qui a changé la donne, et qui court-circuite tout le reste.

Ce qu'il s'est passé, c'est que Aaron Swartz est mort.

Je ne ferai pas semblant d'avoir connu A. Swartz depuis des années et d'avoir suivi son travail avec attention. Comme au final beaucoup parmi nous, je n'ai pris connaissance de son existence qu'au moment où elle s'est tragiquement éteinte. Je n'entrerai pas non plus dans les débats futiles quand à savoir s'il a vraiment été pilier de la création de RSS ou simple aide annexe, ou sur la part exacte et chiffrée qu'il a tenue dans la fondation de Reddit. Parce que ces considérations sont finalement secondaires pour le moment. Ce qui compte, c'est que c'était un passionné, quelqu'un qui aimait l'informatique, voulait la faire évoluer, et voulait partager cette évolution avec le reste du monde, et que le monde lui est tombé dessus et l'a accablé pour ça.

Aaron Swartz a enfreint un tabou important en s'attaquant à ce qu'il y a actuellement de plus honteux dans notre économie mondiale de la recherche scientifique : il a osé sortir des articles scientifiques appartenant officiellement à des revues payantes pour les diffuser gratuitement. En faisant cela, il a pointé l'ineptie de cette économie du savoir qui permet à quelques maisons d'édition de gagner leur vie sur le travail des chercheurs et à travers eux sur l'argent des étudiants et des contribuables.

Il faut comprendre que depuis des années, le mot d'ordre de la recherche mondiale est publish or perish : pour exister, il faut publier, c'est à dire écrire des articles scientifiques et les faire publier dans diverses conférences et revues spécialisées, de façon à montrer que l'on est un chercheur « productif ». Depuis des années, on ne parle plus que de nombre de publications par an, d'impact factor, de nombre de citations et de h index. Cette frénésie d'écriture, qui tient autant de l'exercice de communication continue que de recherche elle-même (savoir où soumettre, qui citer, quoi dire pour être accepté, lu et repris) a ainsi encouragé une véritable économie de l'édition scientifique, poussant en avant les conférences et les revues qui fonctionnent sur le travail bénévole des chercheurs.
Comment ça se passe ? Prenons l'exemple d'une revue scientifique : cette revue va lancer un appel à soumissions d'articles qu'elle va relayer à travers la communauté scientifique (listes de diffusions, carnets d'adresses, forwards de forwards de forwards, etc.). Des chercheurs touchant au domaine concerné vont alors voir l'occasion de remplir leur quota de publications scientifiques, et seront d'autant plus motivés que la revue sera réputée et lue. Ces chercheurs vont donc soumettre des articles, qui seront alors relus, commentés et approuvés (ou rejetés) par un comité scientifique : des chercheurs assez reconnus dans leur branche pour qu'on leur propose l'insigne honneur (bénévole) de relire et commenter le travail de leurs confrères.
Si un article est accepté, son auteur sera amené à y apporter quelques corrections proposées par les relecteurs (2 ou 3 relecteurs différents par article) et à le mettre en forme en suivant une feuille de style fournie par l'éditeur de la revue. L'article sera alors intégré à la revue, qui sera elle vendue (à l'article, au numéro, ou par abonnement) à toute personne ou laboratoire qui se montrera intéressée.
Et bien entendu vous avez déjà compris : à aucun moment il n'est envisagé que les auteurs d'articles, leurs employeurs (laboratoires ou universités) ou les relecteurs du comité scientifique ne soient rémunérés. Tout le contenu est fourni bénévolement par des scientifiques qui « font leur métier » et les revenus vont intégralement à la maison d'édition (qui se charge de la communication, coordination et publication, c'est à dire uniquement les services annexes).
Les auteurs sont ainsi invités à signer des cessions de droit sur leurs articles, en échange du privilège d'être publiés. Tout au plus auront-ils un exemplaire de la revue offert (ce qui est une plus-value extrêmement intéressante quand le laboratoire de l'auteur est déjà abonné à la revue). Si cela n'est pas une forme de copyright madness, qu'est-ce que c'est ?

Et encore, au moins avec les revues les auteurs n'ont pas à payer pour être publiés.

Parce que quand on s'intéresse aux conférences scientifiques, le fonctionnement est le même, à ceci près que toute acceptation d'article est subordonnée au fait qu'au moins un des auteurs s'inscrive à la conférence et s’acquitte par conséquent des frais d'inscription complets incluant généralement la participation à 3 journées de présentations (chaque auteur étant appelé à présenter son article pendant un talk d'une vingtaine de minutes), les repas sur place et un exemplaire des proceedings de la conférence (la version écrite des articles). Oui, vous lisez bien, les auteurs doivent payer pour être publiés et avoir le privilège de présenter leurs travaux devant un auditoire composé à 90% d'autres auteurs (parce qu'à environ 1000€ par personne tout inclus un laboratoire n'a pas toujours les moyens d'envoyer ses chercheurs simplement assister à des conférences sans publier).
Il est vrai que certaines conférences sont organisées directement par des universités (et si elles s'avèrent rentables elles permettront aux laboratoires organisateurs d'engranger un peu d'argent permettant de financer les futurs déplacements de leurs chercheurs), mais de plus en plus (en tout cas en informatique), les conférences qui comptent sont associées à des maisons d'édition célèbres pour la publication des fameux proceedings (la série des Lecture Notes in Computer Sciences de Springer en est un parfait exemple).

Personnellement je suis un chercheur travaillant dans un établissement public, mon salaire venant du contribuable français. Je considère qu'en effet écrire des articles scientifiques fait partie de mon travail et je ne demande pas à être spécifiquement rémunéré pour cela (juste à avoir du temps et des moyens pour faire mon travail, mais c'est un autre débat). Par contre travaillant pour le public, je ne vois pas quelle raison peut justifier que mes travaux ne soient accessibles qu'à des personnes ou établissements payant une redevance auprès de structures privées qui ne participent en rien à ma recherche. Mon travail appartient à la communauté, et devrait être diffusé librement à toutes et à tous.
C'est pour cela que j'approuve ce qu'à fait Aaron Swartz au MIT. Les articles qu'il a téléchargé pour les redistribuer n'auraient jamais du être en accès limité au départ. Qu'il ait été accablé pour cela est une démonstration magnifique de ce que notre système de recherche a de plus ubuesque et de plus aberrant.

C'est pour cela que, suivant la voie de nombreux confrères depuis ce week-end, mes prochaines publications scientifiques seront toutes mises en ligne gratuitement et en libre accès peu après leur publication, et il est très probable que mes anciennes publications le soient aussi prochainement (même si pour cela je demanderai tout de même l'autorisation aux autres auteurs avec qui j'ai travaillé, un chercheur ne publie presque jamais seul).
La mise en ligne ne se passera pas sur ce blog, je le ferai sur ma page professionnelle standard, hébergée par le site de mon université.

Et si une maison d'édition trouve à y redire, et bien on en redira.

lundi 10 décembre 2012

1984

Il est une chance pour nous qu'au milieu des querelles intestines à leur parti, les élus de l'opposition trouvent encore le temps de se soucier de vrais sujets de société et de l'avenir de notre pays (oui, moi aussi je sais faire des introductions façon Claire Gallois). Malheureusement, quand ils se soucient de l'évolution de notre société et des modes de pensée de leurs concitoyens, cela les pousse parfois à prendre des initiatives dont on se demande si elles relèvent simplement de l’esbroufe médiatique ou, plus inquiétant, de l'imposture intellectuelle.
Par exemple, Xavier Breton, député de la première circonscription de l'Ain, n'a rien trouvé de plus intéressant récemment que de demander la mise en place d'une commission d'enquête pour étudier la façon dont la théorie du genre se répand à l'heure actuelle dans les esprits français, jugeant que cet engouement pour la déconstruction des stéréotypes genrés est dangereuse pour l'avenir du pays, que sa diffusion s'est faite « sans débat public préalable » et pis encore que la théorie du genre « ne présente aucun caractère scientifique ».

Dans mon cerveau de petit citoyen ordinaire, une commission d'enquête parlementaire, c'est un gros truc. C'est le genre d'outil que l'on emploie quand il faut enquêter sur les dysfonctionnements de la justice dans l'affaire d'Outreau ou pour se saisir de sujets de société graves comme les sectes religieuses en France. Lancer une commission d'enquête parlementaire sur la question de la théorie du genre, ce n'est pas une mince affaire, et cela témoigne d'une préoccupation grave de la part de Monsieur Breton, qui doit penser que la survie de la République est en danger...
Sauf qu'à travers ces demandes et ces déclarations, outre faire exemple d'un conservatisme de pensée qui saura ravir son électorat traditionaliste, M. Breton fait la démonstration d'un mépris et d'une incompréhension de la chose scientifique qui est assez emblématique de la classe politique française.
Ce n'est pas un problème fondamentalement nouveau. En France, une grande partie de la classe politique a une formation et une culture scientifiques (je prends le mot science dans son sens complet, c'est à dire comprenant entre autre les sciences humaines, sociales, juridiques, etc.) relativement limitées. Très peu de personnalités politiques sont formées à la recherche et en mesure de saisir ses réels enjeux (oui, cela peut sembler condescendant à première vue, mais si on demande aux chercheurs de passer un doctorat, c'est bien parce qu'il y a besoin d'une formation particulière pour comprendre et pratiquer la recherche) et quand elles expriment leur point de vue sur la chose scientifique, elles confondent présenter une théorie et asséner un point de vue nourri aux images d’Épinal.

Donc qu'est-ce que la théorie du genre en fait ? C'est un champ de recherche, lié principalement à la sociologie, qui vise à étudier la façon dont la société projette des stéréotypes construits socialement sur les individus selon qu'ils soient de genre masculin, féminin, ou autre. Le « genre » d'un individu se détache à ce titre du « sexe » biologique en ce qu'il s'agit d'une construction sociétale autour de la notion de sexe biologique. Comme tout champ de recherche, les gender studies comme on les appelle outre-manche rassemblent toute une communauté de scientifiques, travaillant tout autour du globe, qui mènent des enquêtes et des études pour mieux comprendre et identifier la dissociation entre sexe et genre, entre la réalité biologique et la construction sociale.
Ainsi, quand M. Breton se plaint que les gender studies n'ont pas fait l'objet d'un « débat public », il nie simplement le fait que le domaine fait l'objet de nombre de colloques (même s'il a fallu attendre assez récemment pour trouver des colloques sur le sujet organisés en France) au cours desquels divers membres de la communauté scientifique présentent et discutent leurs travaux, dans la plus grande tradition universitaire. Peut-être s'offusque-t-il que lui, député n'ayant pas grande connaissance en sciences sociales, n'ait pas été appelé à exprimer son avis de non-expert du sujet, auquel cas nous devons aussi nous attendre à ce qu'il s'inquiète prochainement qu'il n'y ait pas eu de débat public sur la question des théories quantiques ou sur la théorie de l'évolution (mais nous allons peut-être y venir, un lobby créationniste finira bien par atteindre le sol français).

Il pourrait effectivement y avoir des choses à discuter sur l'état actuel des gender studies. En tant que jeune champ de recherche, aux implications politiques fortes, il peut avoir tendance à attirer des chercheurs engagés idéologiquement, qui pourraient ainsi présenter un biais idéologique dans la façon dont ils mènent leurs travaux et interprètent leurs résultats. Mais c'est à la communauté scientifique dans son ensemble de pondérer et corriger ce biais, en assurant un pluralisme de travaux et de points de vue, dont ressortira une vérité scientifique. D'un autre coté, il faut en effet faire attention à la façon dont certains groupes politiques pourraient vouloir récupérer les gender studies pour « prouver » leur doctrine, de la même manière que les politiques ont pour pratique courante de vouloir démontrer que leur doctrine économique est « prouvée scientifiquement comme la seule possible » (mais si, ils l'ont tous fait, que ce soit par l'avis d'experts pour par un recours hasardeux au « pragmatisme » et au fameux « principe de réalité » visant à court-circuiter tout débat en assénant une vérité unique).
Mais cela nous fait entrer dans un autre débat, celui de la tentative de récupération politique des sciences, par des personnes qui trop souvent non seulement ne sont pas formées à comprendre et interpréter certains résultats scientifiques mais surtout sont loin de toute tentative de recherche d'une vérité scientifique et cherchent surtout à tordre la science pour imposer leur discours à la population. Un comportement malheureusement trop répandu dans l'ensemble de notre classe politique, et qui n'est pas un problème nouveau. Il n'y a une fois encore qu'à regarder la façon dont certains parlent d'économie pour comprendre à quel point ils se préoccupent peu de vérité et de rigueur scientifique.

Toujours est-il que M. Breton nous présente une nouvelle démonstration de la capacité de certains élus à vouloir, au nom du combat contre la « pensée unique », essayer d'imposer leur propre mode de pensée dans la société, et à considérer les points de vue nouveaux et émergents comme des pensées dangereuses. Comme quoi de la politique française contemporaine à la mise en place d'un « Ministère de la Pensée », il n'y a pas grand chemin à parcourir.
A nous de nous assurer que ce genre de pas ne soit jamais franchi.

Et la prochaine fois M. Breton, au lieu de vouloir invoquer une commission d'enquête, donnez des fonds au laboratoire de sociologie de l'université la plus proche de chez vous. Ils se chargeront certainement avec plaisir de travailler sur le sujet et d'organiser un colloque. La plupart des chercheurs d'ailleurs ne demandent que ça : les moyens de faire leur travail efficacement, et ils sont certainement plus qualifiés que vous pour le faire.

mardi 20 novembre 2012

Thelma et Louise

Mon billet de la semaine dernière, s'il a attiré plus de visiteurs qu'à l'accoutumée (un grand merci à Zythom pour cela), a vraisemblablement fait l'objet d'un quiproquos. J'avais en effet expliqué longtemps auparavant dans ce billet-ci que je renommerai systématiquement mes étudiants, amis et collègues en employant une convention spécifique, afin de protéger leur identité. Le fait que j'ai employé le prénom « Alice », premier nom de ma liste, n'implique donc pas forcément qu'il faille considérer qu'il s'agisse spécifiquement d'unE étudiantE (et je conserverai volontairement ce point ambigu).
Cette confusion, dont j'espère que les lecteurs m'excuseront, est cependant du coup l'occasion de faire un petit bilan sur la question de la mixité (ou plutôt du manque de mixité) dans les cursus informatiques.

Depuis que j'ai commencé mes études en informatique, à la fin du millénaire dernier, j'ai pu constater que les différentes promotions dont j'ai fait partie comptaient environ 10% de présence féminine. Et de ce que j'ai pu constater depuis que je suis enseignant, cette proportion est plus ou moins stable selon les années.
Outre le fait qu'à 18-20, un age où une grande partie des préoccupations de certain(e)s tourne autour de l'idée de passer d'agréables moments avec des personnes du sexe opposé, le fait de n'avoir dans son entourage scolaire immédiat qu'une poignée de filles a tendance à provoquer une certaine frustration chez certains étudiants (qui a au moins le mérite de les pousser à sortir un peu de leurs ordinateurs et à s'intéresser à ce qui se passe à coté), ce manque de mixité n'est pas lourd de conséquences, autant pédagogiques que sociales.

La première est pour les étudiantes en cours de cursus. Peu nombreuses, parfois très (trop) courtisées (ou chahutées, l'étudiant en informatique n'est pas forcément mieux élevé que le joueur de x-box live standard), elles ne se sentent pas toutes à l'aise dans ce genre d'environnement (d'accord, certaines s'en accommodent très bien et sont très contentes d'avoir toujours sous la main de jeunes hommes prêts à leur réexpliquer un cours ou leur porter leur sac, mais ce n'est pas un cas général). Notre équipe a du coup souvent tendance lors des constitutions de groupes à s'assurer qu'aucune fille ne soit seule dans un groupe autrement exclusivement masculin, mais parfois les situations sont vite compliquées.
La deuxième est pour les étudiants eux-mêmes. Mettant de coté les préoccupations grivoises, le manque de mixité dans les promotions tend à provoquer un entre-soi (ou « syndrome du vestiaire après-match ») qui n'est pas forcément des plus épanouissants quand il devient une norme quotidienne. Deux années à ce régime de blagues vaseuses et de concours de qui a la plus grosse carte graphique peuvent ensuite déboucher sur une certaine forme de machisme, un rapport parfois tendu avec les enseignantes, ou tout du moins sur l'impression que l'informatique est un « métier d'homme » (ce qui justement est d'une idiotie totale, mais les clichés auto-entretenus ont fatalement la vie dure).
La troisième est plus large, et concerne la vision que toutes et tous ont de l'informatique et de ses métiers, et des répercussions de cette image sur les jeunes sortant de lycée. En effet, alors que l'informatique est par définition une discipline intellectuelle, un domaine dans lequel il n'existe aucun raison physico-ergono-morphologique qui rende le travail plus difficile à un sexe qu'à un autre, beaucoup continuent de percevoir cette discipline comme un métier d'hommes, qu'ils soient des admins-bricoleurs toujours accroupis dans leurs machines comme les mécaniciens des années 70, des programmeurs-nerds connaissant des encyclopédies entières de langages n'ayant rien à envier au klingon, ou des décideurs-businessmen en costume aux relents de paternalisme. Ce cliché idiot dissuade probablement une quantité non négligeable de jeunes filles à tenter leur chance dans le milieu, ce qui fatalement, appauvri le milieu en question.
Parce que la deuxième observation que nous pouvons faire, c'est que les filles qui s'engagent s'en sortent plutôt bien. Depuis que je suis enseignant, les promotions dans lesquelles je suis intervenu ont compté plus de filles majors de promotion que ne le voudraient les lois statistiques, et les étudiantes que nous envoyons en entreprise (que ce soit en stage ou par apprentissage) ont généralement d'excellents retours de leurs employeurs, autant sur leur compétence technique que sur leur capacité à s'intégrer en milieu professionnel. Et plus on s'élève dans les strates de niveau universitaire, plus la mixité à tendance à se rétablir (d'ailleurs il y a dans mon équipe d'enseignement, autant de permanents masculins que féminins en informatique). Bien entendu là encore toutes ne réussissent pas aussi bien, et il est très possible que l'on trouve un biais du au fait que potentiellement les seules à tenter l'expérience sont celles qui sont les mieux armées intellectuellement et en termes de tempérament pour réussir dans ce genre de cursus, mais je pense qu'à tout le moins les étudiantes n'ont pas à craindre l'informatique, et que beaucoup gagneraient à s'y intéresser.

C'est pour cela que je pense qu'il faut encourager les lycéennes à s'essayer à l'informatique, ou au moins ne pas les décourager à le faire. Je ne trouve rien de plus triste dans mon métier que de voir de jeunes gens limiter eux-même leurs possibilités à cause des rumeurs et d'images.

Et pour rebondir sur le billet de la semaine dernière : depuis que j'enseigne nous avons en effet envoyé un nombre non négligeable d'étudiantes en école d'ingénieur, et elles s'en sortent généralement sans soucis. Certaines même parfois nous recontactent quelques années plus tard pour venir donner des cours en tant qu'intervenantes professionnelles, une manière d'amorcer un cycle vertueux. Reste à faire circuler l'information aux plus jeunes, dans les collèges et les lycées.

vendredi 16 novembre 2012

Stairway to heaven

On m'a fait remarquer récemment que les billets sur ce blog étaient un peu « râleurs » ou pessimistes. Il est vrai que sa charte graphique n'encourage pas à la gaieté et à la joie de vivre (mais non, je ne ferai pas un blog avec des poneys et de l'amitié, cela reste hors de question). Voici donc du coup en contrepoint un billet un peu plus positif, parce qu'enseigner, c'est quand même chouette.

Je vais donc aujourd'hui vous parler d'Alice. Oui, cette Alice là. Alice est une de mes anciennes étudiantes. Elle a passé 2 ans en DUT. Alice venait d'un baccalauréat technologique, avec des résultats certes pas mauvais mais pas spécialement brillants non plus, et une certaine allergie aux mathématiques, comme en ont beaucoup de jeunes quittant le lycée.

Clairement, avec son dossier en sortie de lycée, Alice n'aurait pas eu accès à une prépa, et même si elle y était allée cela probablement aurait été une tentative gâchée par le rythme et les exigences propres aux classes préparatoires (entre autres en mathématiques, dont on continue trop souvent à faire l'alpha et l’oméga de la sélection dans les formations scientifiques en France). Bref, sans être forcément sombre, son avenir était en partie limité par son orientation subie pendant sa jeunesse et par le fonctionnement de notre système d'enseignement, qui met très tôt les jeunes dans des tubes dont il devient ensuite difficile de sortir.

Mais Alice est venue faire un DUT Informatique, et il s'avère que l'informatique lui a plu, vraiment. Il est d'ailleurs probable que l'informatique lui ai déjà plu avant, mais c'est une passion dure à identifier et valoriser avant d'accéder aux études supérieures, tant cette discipline a encore du mal à trouver sa place dans le secondaire. Toujours est-il que ça a marché pour Alice, qu'elle a eu de bons résultats (même si les mathématiques ne sont pas devenus son fort pour autant), qu'elle a gagné ainsi le soutien des enseignants de l'équipe, qui ont appuyé son dossier de poursuite d'études.

Aujourd'hui Alice est élève ingénieure en informatique, et tient sa place sans difficultés au milieu d'étudiants venus du parcours Bac S + prépa classique. Bien sur elle n'est pas à X ou dans une des grandes grandes écoles les plus réputées. Mais elle sortira bientôt avec un titre d'ingénieur, et tout ce que cela implique dans le marché du travail français. Non seulement parce qu'elle est réellement compétente dans son domaine et a su s'investir dans ses études, mais aussi un peu à un moment parce que nous avons été là pour lui donner une chance, lui mettre le pied à l'étrier, et lui donner la possibilité de réaliser son vrai potentiel.

On mesure souvent la valeur d'un établissement en fonction de son taux de réussite et de la qualité de ses diplômés en sortie. Personnellement j'ai toujours trouvé cette méthode de palmarès peu pertinente. Après tout il est facile en recrutant de très bons étudiants au départ de s'assurer qu'ils soient encore très bons à l'arrivée. Pour moi la vraie plus-value d'un établissement d'enseignement se situe dans le différentiel entre le niveau d'entrée et le niveau de sortie de ses étudiants. Et sur ce différentiel, les IUT ont une carte importante à jouer. Nous ne recrutons pas dans nos promotions le haut du panier, cela fait des années que les bacheliers avec de bons et très bons dossiers partent en classes prépas. Mais ceux que nous formons, et à qui nous donnons une chance, peuvent en profiter pour prendre un véritable élan.

Bien sur il ne faut pas se leurrer, tout le monde ne réussit pas, et l'échec en première année est une de nos préoccupations constantes. Certains découvrent que la discipline ne leur convient pas, préfèrent une autre spécialité, ne s'investissent pas en termes de travail personnel, ou parfois simplement n'arrivent pas à suivre malgré leurs efforts. Nous faisons tout notre possible pour lutter contre cet échec, tout en sachant que la solution reine serait de ne jamais prendre de risque, de n'accepter que ceux dont on sait qu'ils réussiront.
Mais justement, prendre quelques risques, faire un pari sur la réussite d'étudiants au dossier pas toujours brillant au départ, c'est donner une chance à des personnes pour Alice, et c'est à mon sens exactement ce pourquoi nous sommes là.

mercredi 24 octobre 2012

Comme un tremblement de terre

L'Aquila, avril 2009. Un séisme, 309 morts, qui auraient selon certains pu être évitées, et au terme d'une procédure longue (3 ans et demi), une condamnation à 6 années de prison pour chacun des sept membres de la commission « grands risques » qui n'auraient pas su prévoir le séisme et auraient manqué de donner l'alerte.
Le présent billet n'aura pas pour objet de revenir sur le procès, d'autres plus compétents en la matière le feront certainement mieux que moi, d'autant que je n'ai pas connaissance du dossier en question. Cette affaire interroge toutefois sur le rôle des scientifiques, qui dans l'imaginaire populaire semble trop souvent reprendre le rôle des devins d'autrefois (et qui donc comme les devins se retrouvent accablés lorsque leurs prédictions sont mises en défaut). Je reviendrai donc aujourd'hui sur ce qu'est la prévision de risque sismique, et sur ce qui pourrait éventuellement (mais éventuellement seulement) pourrait être reproché aux membres de cette commission.

Peut-on réellement reprocher à ces six scientifiques de ne pas avoir prévu le séisme qui a frappé l'Aquila ? En soit je considère que non. Comme le rappelle cette explication du CNRS, un séisme reste encore à l'heure actuelle un événement imprévisible. Nul ne peut prévoir avec certitude qu'un séisme aura lieu ou non dans une région donnée à une date donnée. Tout au plus pouvons nous estimer raisonnablement le risque de séisme sur une longue période de temps, et parfois relever certains signes de risque, mais sans qu'ils soient une garantie, ni dans un sens, ni dans un autre.

Dans les problématiques touchant à la prévision (ou à la détection, qui pose les mêmes problèmes), il existe deux catégories d'erreurs de résultat distinctes : les faux positifs et les faux négatifs. Un faux positif survient quand vous pensez détecter un événement qui n'a en fait pas lieu (ex : l'alarme incendie se déclenche sans raison dans un bâtiment, ou Pierre criant au loup), un faux négatif survient quand vous échouez à détecter un événement qui pourtant se produit (ex : l'alarme incendie manque de se déclencher alors que le bâtiment dans lequel vous vous trouvez brûle, ou un virus envahit votre ordinateur sans que votre anti-virus favori ne réagisse).
Bien entendu le premier objectif d'un système de détection/prédiction est de minimiser la quantité globale de faux, quels qu'ils soient. Personne ne veut d'une alarme qui sonne pour rien et oublie de sonner au moment où l'incendie commence. Mais dans les cas où un système parfait n'existe pas (comme dans le cas de la prédiction des séismes, ou plus quotidiennement de la météo) il faut parfois faire un choix stratégique : doit-on minimiser en priorité les faux positifs ou les faux négatifs ? (ou dit autrement : vaut-il mieux une alarme qui sonne pour rien qu'une alarme qui ne sonne pas au moment crucial ? Et à partir de combien de « sonneries pour rien » finit-on par changer d'avis).
C'est là que l'on sort du rôle du scientifique et que l'on entre dans celui du décideur politique. En matière de risque sismique, le décideur souhaite généralement obtenir des réponses à des questions de forme oui/non : Doit-il faire évacuer une ville/région ? Doit-il fait appliquer des normes de construction plus coûteuses pour minimiser le danger pour la population ? D'un coté il doit préserver la population, d'un autre éviter de ruiner l'activité économique et dépeupler des régions entières pour un risque non avéré. Malheureusement la science ne rien peut lui offrir de plus que des statistiques et des probabilités, des indicateurs de risque, mais pas de prévoir l'avenir. Le décideur politique se trouve donc face à des probabilités, et des coûts, économiques et humains, associés à chaque scénario. Il devient alors délicat de prendre la « bonne » décision, un excès de prudence pouvant à long terme s'annoncer aussi dommageable qu'une prise de risque mal négociée (sinon toute la population mondiale vivrait dans des régions à risque sismique terriblement faible, et nous savons que ce n'est pas le cas).

Par exemple, si nous imaginons un million de localités fictives réparties sur la planète, et que chacune se trouve affectée d'une probabilité de 1% de risque de connaître un séisme dans la journée qui vient (ce n'est qu'un exemple, le risque sismique ne s'exprime pas d'un jour sur l'autre). Si nous ajoutons qu'évacuer une localité, donc fermer ses commerces, déplacer sa population, couper toutes ses productions (en bien manufacturés mais aussi en nourriture) représente un coût non négligeable (beaucoup moins que des vies humaines, tant qu'on se tient à une journée d'évacuation, mais le « coût » associé monte vite et devient préoccupant pour la population si elle reste « évacuée » pendant plusieurs semaines ou mois dans l'année), la plupart des décideurs se diront que pour un risque de 1% de séisme il n'y a pas motif à évacuer.
Pourtant d'après la théorie des grands nombres, sur ce million de localités, on peut estimer qu'environ 10 000 (à un milliers près) d'entre elles connaîtront un séisme le lendemain (un million divisé par cent). Le drame, les morts, la douleur et la colère compréhensibles des populations touchées. Les 10 000 décideurs politiques concernés auront-ils pour autant fait un moins bon travail que les 990 000 autres, en prenant la même décision à partir des mêmes informations ? Les scientifiques seront-ils à blâmer d'avoir estimé le risque à « seulement 1% » alors que le tremblement de terre a eu finalement lieu ? Aurait-il fallu tout évacuer, quitte à ce que la perturbation économique engendrée ne fasse peut-être plus de victimes (au niveau du million de localités) que les 10 000 séismes avérés ?

A chaque fois qu'un drame de ce genre arrive (pas seulement un séisme, mais aussi les typhons, tsunamis, éruptions, tornades et autres catastrophes naturelles) on se dit effectivement « plus jamais ». Mais lorsque l'on étudie le comportement globale de l'humanité face à ces risques, on comprend bien que la réalité n'est pas si tranchée. Après tout des populations n'hésitent finalement pas à s'installer sur les pentes de volcans en activité, parce que les terrains y sont fertiles, ou parfois même construisent de véritables mégalopoles sur des failles sismiques, sachant que le pire frappera à un moment ou à un autre. Face à ce genre d'événements rares mais dévastateurs, nous avons globalement tendance à minimiser voire ignorer le risque, en se disant que la foudre frappera toujours quelqu'un d'autre, ou qu'elle ne tombera que demain.

Alors que penser de ce comité d'experts ? Peut-on leur reprocher de ne pas avoir fait évacuer la population avant le désastre ? A mon avis non, ce n'est pas leur rôle. Leur rôle est d'informer les décideurs, pas de prendre la décision à leur place. Peut-on leur reprocher de ne pas avoir su qu'un séisme allait frapper ? A mon avis non plus, on ne peut pas face à un risque aussi imprévisible leur reprocher de ne pas avoir été omniscients. De mon point de vue, ce qui a pu éventuellement leur être reproché par cette cour de justice (et j'espère en savoir plus bientôt sur cette histoire) serait un manque d'implication dans leur mission ou des fautes caractérisées : ne pas avoir relevé certaines informations, avoir volontairement minimiser certains signaux d'alerte, ne pas avoir fait leur travail en respectant l'état de l'art en la matière.
Toujours est-il que cette condamnation pourrait avoir de graves répercussions sur la composition et l'implication de ce genre de comités de sécurité à travers le monde. Le risque de servir de fusible ou de bouc émissaire en cas de catastrophe et ainsi de se condamner à de la prison ferme va probablement peser sur le volontarisme des experts chargés de reprendre ce genre de comités. Personnellement si j'étais spécialiste en la matière, j'y réfléchirai à deux fois avant d'accepter ce genre de poste, et je m'assurerai que la rémunération soit largement à la hauteur du risque encouru (mais je suis un scientifique, donc forcément vénal).

mercredi 17 octobre 2012

The hero with a thousand faces – part 2

Aujourd'hui, voici la suite du billet commencé ici. Après avoir parlé longuement des enseignants-chercheurs, il est temps en effet de répertorier les autres enseignants que les étudiants ont l'occasion de rencontrer pendant leur parcours, et qui s'ils ne sont pas forcément actifs en recherche apportent en contrepartie un investissement accru en enseignement ou un regard extérieur plus que salutaire : les enseignants à temps complet, et les intervenants professionnels.

Des enseignants qui en saignent

(avec tous mes respects au blog de Princesse Soso)

En effet, pour gérer la cohorte d'étudiants débarquant chaque année à l'université, et assurer l'ensemble des heures d'enseignement prévu (une licence comme un DUT correspondant à 1800 heures d'enseignement pour les étudiants), les enseignants-chercheurs ne suffisent pas. D'une part parce que consacrant la moitié de leur fonction à la recherche ils ne peuvent couvrir tous les besoins d'enseignement (ou alors cela demanderait un effectif d'enseignants-chercheurs qui ruinerait définitivement nos universités) et d'autre part parce que leurs contraintes d'agendas font qu'il est grandement utile d'avoir en complément des enseignants à temps complet.
C'est ici qu'interviennent les Professeurs Certifiés (PRCE) et les Professeurs Agrégés (PRAG). Comme leur nom l'indique, il s'agit d'enseignants qui ont passé les concours du secondaire (CAPES, CAPET, Agrégation), avant d'être finalement être affectés à des établissements supérieurs. Ils sont enseignants à temps complet, ce qui se traduit par un service annuel de 384 heures équivalent TD (contre 192 pour les enseignants-chercheurs) et, sauf dérogations, ne peuvent enseigner qu'en premier cycle universitaire (il est en effet considéré que les enseignements de niveau Master étant des enseignements de pointe, ils ne peuvent donc être assurés que par des personnes menant en parallèle une activité professionnelle extérieure ou de recherche).
Ces enseignants sont des éléments important des équipes pédagogiques. Généralement plus présents et plus en contact avec les étudiants, ils apportent un suivi au plus proche du parcours des étudiants. Les postes de PRCE et PRAG sont donc particulièrement pertinents pour assurer les enseignements « complémentaires » ou « généraux » au sein d'un département (par exemple en DUT Informatique, enseigner tout ce qui touche aux mathématiques, à la communication, à la gestion et à l'anglais). Cela permet de combler efficacement les besoins d'enseignements sans recourir à des cohortes d'enseignants-chercheurs sur ces disciplines.
De plus, ces enseignants là n'ayant pas à maintenir une activité scientifique régulière et productive pour assurer leur progression de carrière, ils sont souvent plus à même (et plus volontaires) d'assurer certaines fonctions administratives (comme la direction d'un département ou d'un établissement de type IUT).
Il est à noter que d'autres enseignants du secondaire peuvent également intervenir en renforts dans une équipe universitaire en complément de leur activité d'origine, grâce au statut de Chargé d'Enseignement Vacataire dont nous parlerons un peu plus loin.

Des professionnels qui professent


Finalement, parce que contrairement à ce que prétendent certains grands parleurs qui n'y connaissent rien (et qui bien souvent n'ont jamais mis les pieds dans un amphithéâtre d'université), l'université entretien depuis longtemps des liens avec le monde « professionnel » (car enseigner et faire de la recherche n'a rien de professionnel voyez-vous, c'est une vocation, un sacerdoce, c'est différent), nous trouvons aussi dans les établissements des enseignants dits « extérieurs » : des professionnels en activité qui viennent s'assurer un complément de salaire en donnant des cours. L'occasion pour eux de transmettre aux étudiants leur expérience du monde professionnel et d'assurer ainsi que l'enseignement universitaire ne reste pas une tour d'ivoire académique et hors des réalités.
Parmi ces professionnels, les mieux lotis sont Professeurs associés (PAST). Ils bénéficient en effet d'un contrat sur 3 ans, renouvelable 2 fois (ils peuvent enseigner plus de 9 ans dans un même établissement mais cela nécessite alors une nouvelle candidature complète, et de plus en plus d'universités s'engagent sur des règles de « roulement » des professionnels extérieurs passé 9 ans), soit à temps partiel, soit à temps complet. Leur contrat inclus d'une part une activité d'enseignement (96 heures équivalent TD pour un temps partiel, avec possibilité de faire jusqu'à 96 heures de plus en « heures complémentaires », 192 heures équivalent TD pour un temps complet, avec même possibilité de « doubler » ses heures) et d'autre part la participation à des activités de recherche dans l'un des laboratoires de l'université. Un contrat PAST est donc l'équivalent d'un poste contractuel.
Dans la pratique, l'investissement de ces professionnels est variable. Certains, et notamment les professeurs associés à temps complet, jouent clairement le jeu de l'investissement et sont « présents » dans l'établissement (certains en profitent d'ailleurs pour commencer une thèse de doctorat qui leur permettra de valoriser leur activité scientifique). Cependant, certains parmis les PAST à temps partiel ne font que le minimum contrôlable (à savoir les 96 heures d'enseignement en présence d'étudiants) afin de conserver leur activité principale à temps-plein (et ainsi cumuler salaire de base plus rémunération de PAST). Il est très difficile de contrôler a priori l'investissement d'un futur professionnel quand il est recruté, mais ceux qui ne font visiblement pas d'effort pour assurer l'ensemble de leurs missions doivent clairement s'attendre à ne pas voir leur contrat reconduit au terme des 3 premières années. A noter qu'outre leur expérience personnelle, rafraîchissante pour les étudiants, ils bénéficient également en général de contacts et de réseaux qui peuvent épauler grandement l'université lors de la mise en œuvre de certains projets.

Finalement, pour ceux qui n'ont pas la chance de bénéficier d'un contrat de ce genre, il reste la possibilité d'intervenir comme Chargé d'Enseignement Vacataire. Ces intervenants (qui deviennent de plus en plus nombreux, les effectifs étudiants ayant tendance à augmenter alors que la création de postes d'enseignants n'est pas à l'ordre du jour) sont engagés chaque année pour effectuer un nombre d'heure limité (jamais supérieur à 192 heures équivalent TD) et ne sont payés que pour les heures effectuées. Il peut donc s'agir d'un à-coté intéressant pour des professionnels en début de carrière (la rémunération n'étant vraisemblablement pas attractive pour un professionnel confirmé) mais certainement pas d'une activité sur laquelle baser sa subsistance (ce qui est de toute façon interdit, tout CEV doit justifier d'une activité suffisamment rémunératrice en début d'année pour être embauché). En général, les CEV interviennent uniquement en TD/TP, sous la supervision d'un enseignants de l'équipe de formation qui fournit l'ensemble des ressources disponibles (sujets, corrigés, etc.) afin que l'intervention se fasse « clé en main » et nécessite le minimum de préparation possible (bien qu'il soit attendu d'un CEV que comme tout enseignant, il maîtrise son sujet).
A noter qu'avec le temps et l'évolution des conditions de travail, de plus en plus de CEV ne sont pas des professionnels en exercice mais des enseignants du second degré qui trouvent ainsi un moyen de compléter leurs revenus en assurant une charge de cours modérée à l'université. Cette évolution n'est pas tant due au manque d'attractivité des CEV (bien que la rémunération horaire soit très faible par rapport à ce que proposent certains établissements privés parisiens) mais au fait que le nombre de permanents dans les équipes stagnant face à l'augmentation des effectifs étudiants, il faut trouver de plus en plus d'intervenants, et que tous ne peuvent pas être « des professionnels en exercice » (ne serait-ce que pour des raisons d'emploi du temps et de pertinence du propos).

Ainsi, avec cette diversité de statuts, souvent transparente aux yeux des étudiants, vient une grande diversité des pratiques et des méthodes de chacun. Ce croisement de méthodes est clairement une richesse pour les étudiants qui évitent ainsi de se retrouver face à un discours trop formaté et à une forme de pensée unique. Cependant il leur est en contrepartie bien difficile de s'y retrouver en début d'année entre tous ces « profs » qui ont tous des contraintes et façon de procéder différentes (et de comprendre quels sont ceux que l'on peut s'attendre à trouver dans leur bureau entre deux cours et ceux qu'on ne croisera jamais).

mercredi 10 octobre 2012

Shanghai Kid

Alors que l'automne s'est désormais bien installé sur le pays, et en attendant de parler des prix Nobel qui en cette saison tombent tels des feuilles de marronniers, je reviens aujourd'hui sur le tristement célèbre classement académique des universités mondiales par l'université Jiao Tong de Shanghai, dit classement de Shanghai. Ce classement, présenté comme un palmarès incontournable des meilleures universités du monde, est devenu le phare lumineux de ceux parmi les décideurs politiques qui ont compris de la science, de l'enseignement et de la recherche qu'on pouvait les résumer à l'optimisation d'un indicateur statistique imparfait.

Ce classement, qui comme son nom l'indique a été mis au point par des chercheurs de l'Université Jiao Tong de Shanghai, avait pour objectif initial (merci Wikipédia) de fournir au président de l'université concernée un indicateur permettant d'identifier les universités au sein desquelles envoyer en priorité des étudiants lors d'échanges internationaux. En soi cet objectif n'a rien de contestable (l'échange international étant toujours fortement encouragé, que ce soit au niveau des étudiants comme à celui des équipes de recherche) et on peut comprendre l'intérêt pour un président d'université de se munir à cet effet d'un outil rapide d'accès et développé en interne, même si sujet à des approximations (et à une vision spécifique des critères sur lesquels baser ses préférences). Le soucis que pose ce classement c'est qu'étant le seul (le premier ?) connu et communiqué dans ce domaine, il est rapidement devenu une marotte médiatique et, échappant à son objectif premier, est devenu un outil de comparaison des établissements et des politiques d'enseignement supérieur et de recherche, poussant certains décideurs politiques à en faire le point central de leur politique universitaire.

Or l'utilisation de ce classement à cette fin de pilotage de politique de recherche nationale présente deux défauts clairs et incontestables. Le plus évident est une méprise sur l'objet étudié : il ne s'agit pas d'un indicateur des performances d'enseignement et de recherche des états, mais d'un ensemble d'établissements. Il favorise donc intrinsèquement les établissements de grande taille (car plus visibles dans le classement) et peut donc donner une vision faussée de la performance de chaque état dans le domaine, en fonction de la stratégie de répartition des universités sur le territoire (quelques gros centres universitaires versus un maillage de petites universités de proximité). Par exemple, les Etats-Unis comptent 158 universités publiques (et quelques 4000 établissements d'enseignement supérieur privé) pour plus de 317 millions d'habitants (1 pour 2 millions d'habitants), dans le même temps la France compte 75 universités pour 65 millions d'habitants (1 pour 866000 habitants), ce qui reflète une organisation de l'enseignement et de la recherche publique beaucoup plus éclatée (et encore je ne parle pas des organismes de recherche purs). On peut d'ores et déjà en déduire que vouloir comparer la performance des politiques publiques d'enseignement et de recherche américaines et françaises à partir des performances individuelles de leurs établissements est un non sens. Si en plus on considère que parmi les 10 meilleurs universités américaines (occupant les places 1 à 12 du classement) 8 sont en réalité des établissements privés (les seuls établissements publics étant Berkeley et l'Université de Californie), on peut réaliser à quel point cet indicateur n'est pas employable pour jauger de la performance d'une politique nationale.

L'aspect le plus pernicieux de ce classement est ensuite qu'il représente une certaine vision de ce que doit être une « bonne » université, vision qui n'est pas forcément universelle, loin de là. Si l'on observe les critères du classement de Shanghai, on peut en conclure que du point de vue du président de l'université Jiao Tong, une bonne université est une université :
  • qui a formé des chercheurs ayant ensuite remporté le prix Nobel ou la médaille Fields,
  • qui emploie actuellement des chercheurs ayant ensuite remporté le prix Nobel ou la médaille Fields,
  • qui emploie des chercheurs très cités dans leur discipline,
  • qui publie beaucoup, mais uniquement dans Nature et dans Science,
  • qui est beaucoup citée dans Science citation index et Art & Humanities citation index.
Il apparaît rapidement que ces critères contribuent à former une simple évaluation de surface et ne sont certainement pas pertinents pour déterminer à quel point un établissement rempli ses missions. D'autant que les missions dédiées à l'université sont dépendantes des choix politiques de chaque état. Par exemple, en France, la performance d'une université en terme d'enseignement est évaluée par son taux de réussite aux niveaux Licence, Master, Doctorat, par le taux (et la qualité) d'insertion professionnelle à 1 an pour les étudiants ayant quitté l'établissement après leur diplôme et par le taux de poursuite d'études après certaines formations. Autant de critères qui visiblement n'intéressent par l'université Jiao Tong qui ne semble vouloir que former quelques futurs Nobel, quitte à laisser pour cela une cohorte d'étudiants non diplômés en bout de chaîne. Du coté de la recherche, la restriction si forte à deux revues d'excellence (et ces derniers temps un peu chahutées) et aux distinctions les plus prestigieuses (souvent décernées 10 à 20 ans après les travaux qui les ont méritées) tient de coté l'immense majorité de l'activité scientifique, et oublie des disciplines entières (dont toutes les sciences humaines, sociales, juridiques, etc).

Le classement de Shanghai devrait donc rester ce qu'il a toujours été : un outil permettant au président d'une université précise d'identifier des partenaires de travail intéressants au regard de la politique de son établissement. Vouloir s'en servir comme classement mondial des performances universitaires et des performances des politiques publiques est une erreur qui ne peut conduire qu'à des décisions inappropriées aux situations locales et à des biais de perception sur le rôle de l'université dans la vie civile. Manque de chance, les médias se sont emparés de ce classement et le récitent chaque année à l'envie, sans être dissuadés par les problèmes de critères et de méthodologie qu'ils pensent pourtant souvent à rappeler. Voici donc nos décideurs poussés à entreprendre des politiques universitaires dont ils savent qu'elles seront évaluées à travers l'évolution annuelle de ce classement, pour le meilleur et pour le pire.

Bien entendu, nous pourrions décider d'entreprendre un autre classement ou indicateur, et il en existe déjà, comme le QS World University Rankings ou le Times Higher Education World University Rankings. Mais nous savons déjà à quel point il est difficile de mettre en place et diffuser un nouveau standard de classement/évaluation quand il existe déjà un outil rapide et simple à comprendre (même si cruellement imparfait) à portée de main. Reste donc à trouver un moyen de continuer à remplir efficacement nos missions et faire notre travail tout en apportant satisfaction relative aux critères du classement dominant de l'époque.

Ceci dit, j'aimerais bien voir ce que l'on arriverait à faire en France si on avait le taux d'encadrement et le budget par étudiant d'un établissement comme Harvard.

jeudi 4 octobre 2012

Glucose

Pour les quelques uns qui suivent ce blog directement ou par flux RSS, j'ai décidé, suite à une divergence idéologique et artistique avec moi-même, de lancer un second blog en parrallèle à celui-ci, dans lequel je parlerai exclusivement de jeu vidéo. Vous le trouverez ici.

Ce blog continuera lui de son coté sur des questions universitaires. Ainsi chacun pourra suivre ce qui l'intéresse sans que les deux lignes éditoriales ne rentrent en collision.

mercredi 3 octobre 2012

Work it harder make it better

« Cette semaine en TD, vous travaillerez sur les différentes conversions et opérations au niveau du processeur. A mardi prochain. »
Fin de la séance, la tension retombe peu à peu. Le cours s'est passé sans soucis, mais enchaîner 1h30 de présentation sur un sujet technique sans fausse note demande énergie et concentration.
Effacer le tableau, remonter l'écran du vidéoprojecteur, ranger les câbles vidéos. Un rituel de quelques secondes, à peine une minute ou deux, servant de rapide pause avant les non moins rituelles questions de fin de cours. Demandes d'éclaircissement, remarques diverses, parfois questions extérieures au cours mais qu'ils viennent me poser à moi parce qu'ils pensent qu'elles entrent dans mon champ de compétence. L'intérêt de faire le dernier cours de la matinée, c'est que beaucoup d'étudiants ont faim et son pressés de manger. Seuls restent ceux qui ont des questions importantes, le superflu se traite l'estomac plein.
Aujourd'hui, ils sont 4-5 à attendre, certains visages réguliers, d'autres occasionnels. Un étudiant approche, première fois de l'année qu'il vient se livrer à ce jeu de questions-réponses.

« Excusez-moi monsieur, mais en fait je n'ai pas compris.
- Ah, vous n'avez pas compris quoi ?
- Bah, tout le cours monsieur, je n'ai rien compris du tout. »

Douche froide.

Bon, le cours d'aujourd'hui était dense, c'est vrai. Beaucoup de notions à présenter d'un coup pour préparer le travail qui sera fait en TD et TP. Les étudiants ont besoin de prendre le rythme et de travailler leur prise de note, mais rien dans le cours n'était compliqué. J'avais décomposé chaque notion, détaillé les méthodes à suivre, donné des exemples. Je pensais le cours rapide certes, mais accessible.
Enfin je crois. A force de manipuler sans cesse les mêmes notions j'ai de plus en plus tendance à les trouver évidentes, à ne plus voir les difficultés. Est-ce que j'ai trop complexifié mon cours sans m'en rendre compte ? Est-ce que je n'ai pas assez détaillé certains points qui me semblent évidents mais qui en réalité demandent une décomposition supplémentaire ? J'ai manqué de temps cette année pour revoir ce cours, j'ai peut-être été trop vite, ou trop ambitieux. Je ne connais pas encore cette nouvelle promotion, j'ai peut-être surestimé leur niveau d'entrée.

État d'urgence, je dois trouver une réponse rapide à apporter à cette demande soudaine, évaluer l'ampleur de la situation, réfléchir à une stratégie, ne pas me laisser désarçonner.

Cet étudiant n'a pas compris la première fois en une heure trente, lui refaire le cours en 40 secondes ne va pas l'aider. Je pourrais essayer de diagnostiquer le point d'incompréhension et de le résoudre, mais cela risque de prendre du temps, et cela ne ferait avancer la situation que pour cet étudiant, présent devant moi. Je ne suis pas dupe, pour un étudiant qui demande, il y en a 10 ou 20 qui sont dans la même situation mais n'ont pas osé poser de question. Et si je n'ai pas réussi à lui expliquer convenablement une première fois, je risque de reproduire la même erreur, et ne pas avancer d'un iota.

Je dois apporter à cet étudiant une réponse individuelle, mais qui ouvre sur une résolution collective du problème.

Heureusement j'ai quelques ressources. Je ne suis pas seul dans l'équipe, un grand avantage de cette formation. Si mes explications ne sont pas claires pour certains étudiants, peut-être que celles de mes collègues seront plus efficace. Varier les interlocuteurs, varier les discours, varier les modes de communication, faire en sorte que chaque étudiant y trouve son compte.

« Vous êtes dans quel groupe ?
- Le groupe delta. »

Bon point. Cet étudiant n'est dans aucun de mes TD. C'est bien l'impression que j'avais mais en début d'année, il vaut mieux s'en assurer directement, dur de retenir tous les visages d'un seul coup.

« Je vais laisser un mot à l'enseignant du groupe delta, il vous refera une explication plus détaillée
en TD. »

L'étudiant semble satisfait de la réponse, la partie urgente de la crise est passée. Reste à assurer la suite. Tout d'abord avertir les enseignants des différents TD qu'il faudra refaire une explication détaillée. Ensuite revoir les exercices proposés pour s'assurer que les étudiants ayant eu du mal y trouveront l’entraînement nécessaire. Finalement mettre une note sur ce cours pour penser à le réviser en prévision de l'année prochaine. Il faudra certainement le redécouper, réduire la quantité de notions présentées en amphithéâtre et dispatcher le reste en TD, remanier son approche.

Et surtout, revoir la série de cours suivants, s'assurer que la situation ne se reproduira plus. Tout reprendre et corriger. Cent fois sur le métier remettre son ouvrage.

lundi 24 septembre 2012

Pourquoi faut-il toujours qu'on ait un timing aussi serré ?

"Bon, aujourd'hui j'ai cours de 9h à 11h et de 13h30 à 16h. Avec la réunion pédagogique à 17h, le mieux serait qu'on se retrouve vers 11h pour bosser cet article.
- Je ne pourrai pas, on a une visioconférence pour le consortium du projet [Insérer ici un nom de projet scientifique] à 10h, ça risque de durer un moment.
- OK, bah dans ce cas on peut essayer de déjeuner ensemble, comme ça tu me raconteras ce qui s'est dit à la visio.
- On peut faire ça. Sinon tu as relu le dossier pour l'appel à projet ANR ? La deadline est ce soir.
- Ah mince ! Bon, avec un peu de chance, le TP sera calme, je devrai pouvoir relire ça..."

Comme je l'ai expliqué dans mon billet de lundi dernier, une grande partie des enseignants à l'université combinent deux activités : l'enseignement et la recherche. Cette association est forte de sens : les chercheurs étant par fonction chargés de créer (ou d'exhumer) de la connaissance, ils sont tout indiqués pour diffuser cette connaissance aux étudiants, assurant que la nouvelle génération reçoive un enseignement de pointe. Cependant dans la pratique cette combinaison d'activité est compliquée à tenir en place et maintenir, en grande partie pour des questions de rythme et de timing.

En effet enseignement et recherche fonctionnent sur des tempos différents, et réussir à concilier les deux demande parfois de grands efforts d'équilibriste. Une vision simple de la question serait de se dire qu'un enseignant-chercheur consacre la moitié de sa semaine à dispenser ses enseignements, et consacre l'autre moitié à sa recherche, mais les choses se règlent rarement aussi simplement.
En pratique les enseignements courent de septembre à juin (de façon large, ça peut aussi être d'octobre à mai). Les 192 heures de service (présence en classe devant les étudiants) se répartissant sur environ 32 semaines de cours, soit 6h par semaine. Si l'on applique la règle (officielle) consistant à considérer qu'une heure de cours correspond au total à 4 heures de travail (en ajoutant la coordination, la préparation, la veille, les corrections, etc.) cela veut dire que pendant ces 32 semaines l'enseignant chercheur travaille en moyenne 24h hebdomadaires sur ses enseignements, ne laissant que 11h hebdomadaires pour la recherche (plus les 20 semaines sans enseignement). De plus il faut voir que les emplois du temps sont rarement optimaux : des enseignements dispersés sur quelques jours, avec des creux d'une ou deux heures entre deux cours, un emploi du temps à géométrie variable en fonction des phases de l'année (ou au moins des semestres). Les activités d'enseignement imposent un rythme avec lequel il faut composer. Et encore, quand on ne se retrouve pas chargé par les heures complémentaires, en théorie facultative mais dans la pratique presque obligatoires dans beaucoup d'établissements (qui se voit dire aux étudiants « désolé mais on annule un quart des cours du semestre, les profs ne veulent pas faire d'heures supp »?). Les heures complémentaires s'entassant elles aussi sur les fameuses 32 semaines de cours, on arrive facilement à un stade où certains enseignants ne trouvent simplement plus de temps pour autre chose que l'enseignement pendant une grande partie de l'année, et ne se consacrent à la recherche que pendant les périodes « de creux ».

Du coté de la recherche justement, il faut également du temps, et généralement de grandes plages afin de pouvoir se concentrer sur un sujet. La recherche n'avance pas à coups d'une heure par-ci une heure par là. En général pour être efficace en recherche il faut pouvoir y consacrer des demi-journées ou journées d'activité entières afin d'avoir le temps de creuser son sujet ou de réaliser une opération (écriture de code, recherche de documentation, manipulation, etc.) dans de bonnes conditions. On constate déjà qu'il est donc difficile de caser des « moments » de recherche dans un emploi du temps qui souvent ressemble à un gruyère. Certains établissements réussissent à assurer à leurs enseignants-chercheurs un emploi du temps aménagé pour faciliter l'organisation de la recherche, mais ce n'est pas toujours possible pour des raisons pratiques (il faut bien que les cours aient lieu).
Mais en plus, certaines périodes de l'activité de recherche demandent clairement un investissement en temps de quelques jours ininterrompus : l'écriture d'un article, le déplacement dans une conférence, la relecture d'une thèse, la rédaction d'un projet scientifique (indispensable pour avoir les financements permettant d'avancer dans ses travaux), ces activités sont clairement exigeantes et ne peuvent pas être menées de façon éparse. Les deadlines en recherche ayant beau avoir parfois une certaine souplesse (après tout entre pairs nous nous comprenons), elles constituent des jalons qu'il faut être en mesure de respecter, ou alors renoncer à certaines parts de son activité.

Face à cette dualité des tempos d'enseignement et de recherche, chacun d'entre nous doit choisir sa stratégie : certains réussissent à faire adapter leurs enseignements en fonction de leur activité scientifique, concentrant leurs cours sur une partie de la semaine (ou du semestre) et en déplaçant quelques uns quand ils ont un déplacement à effectuer. D'autres essaient de fonctionner par phase, avec un temps d'enseignement marqué puis un temps consacré exclusivement à la recherche. D'autres s'efforcent de faire avancer leur recherche les soirs et les week-ends, réglant le dilemme en mettant de coté leur vie personnelle (ceux qui ricanent des supposés enseignants-fainéants ne réalisent pas la chance qu'ils ont de pouvoir considérer leur journée finie quand ils quittent le bureau à 19h). Mais dans tous les cas, jongler avec ces tempos différents (et encore je ne parle pas de la charge administrative) devient une activité en soi pour les enseignants-chercheurs, et les tendances récentes tendent à montrer que ce n'est pas près de s'infléchir.

lundi 17 septembre 2012

The hero with a thousand faces - part 1

8h du matin. Des étudiants au visage fatigué (toujours à cette heure-ci) entrent dans l'amphi. Ils s'installent, discutent. Certains finissent leur café pris au distributeur du hall, d'autres commencent déjà à rouler la cigarette qu'ils fumeront en sortant vers 9h30, d'autres encore positionnent leur sac confortablement sur la tablette devant eux, et décident de finir leur nuit. Entre alors un enseignant, qui prend place sur l'estrade, allume le vidéo-projecteur, et démarre la présentation qui servira de support à ce premier cours de la journée.
La question est alors : qui est ce prof ? Ou plutôt qu'est-il ?
En effet, il n'y a pas UN prototype d'enseignant universitaire, ce serait incroyablement trop simple. Les enseignements de l'université sont assurés par plusieurs catégories d'enseignants qui répondent à des aspects divers de la mission de transmission de connaissance. Et par conséquent, pour donner un peu de structure à cette présentation, il va falloir définir une clé de tri.
On peut envisager plusieurs façons de différencier les enseignants d'université. En premier lieu par la nature précise de leur activité. En effet nous trouvons normalement dans toute formation des enseignants-chercheurs (qui conjuguent comme leur nom l'indique une activité d'enseignement et une activité de recherche), des enseignants à temps plein (qui se dédient uniquement à l'enseignement, et en font donc plus en volume) et des intervenants professionnels (qui ajoutent à l'aspect « académique » de l'université une véritable expérience de terrain).
Mais nous pouvons également distinguer les enseignants en fonction de leur statut. Alors que le plus fort des troupes est constitué de membres permanents (fonctionnaires dans la plupart des établissements, ou en CDI dans d'autres), nous pouvons également trouver des contractuels (qui bénéficient de contrats d'un à trois ans potentiellement renouvelables) et de vacataires (qui eux sont payés à l'heure, et normalement ne sont là que pour combler des besoins ponctuels, même si cette ponctualité est parfois récurrente).

Et à tout seigneur, tout honneur, le billet d'aujourd'hui se concentrera sur les enseignants archétypaux, ceux auxquels on pense en premier quand on parle d'université : les enseignants-chercheurs.

Des chercheurs qui cherchent, on en trouve...


L'enseignant-chercheur est par définition la brique de base d'une formation universitaire. Un individu chargé de créer (ou exhumer) de la connaissance et de la retransmettre aux nouvelles générations. Par défaut, un enseignant-chercheur doit 1600 heures de travail annuel à son établissement. La moitié doit être consacrée à l'enseignement (dont 192 heures passées directement en présence des étudiants, le reste couvrant les préparations, les corrections, la veille, les nombreuses réunions de coordination des équipes et les responsabilités diverses et variées) et l'autre à la recherche (sanctionnée par la nécessité de fournir une certaine quantité de production scientifique).

Les Professeurs d'Université sont les enseignants-chercheurs qui président aux destinées des universités. Ce sont tous des individus expérimentés, qui ont démontré l'importance et la pertinence de leur travaux, ainsi que leur capacité à encadrer et diriger des recherches (à l'exception du milieu des sciences juridiques, le recrutement en tant que Professeur nécessite d'abord l'obtention d'une Habilitation à Diriger les Recherches – ancien doctorat d'état – qui sanctionne plusieurs années de travaux de recherche). Les Professeurs d'Université ont un rôle moteur et décisionnel dans leurs établissements : ce sont eux qui dirigent les thèses, les équipes de recherche, les laboratoires. En général (bien que ce ne soit pas une obligation), les présidents d'université sont Professeurs. Dans certaines disciplines, ce sont eux qui sont responsables des Cours Magistraux, laissant la réalisation des Travaux Dirigés et Pratiques aux autres grades.

Les Maîtres de Conférence sont de leur coté les troupes de base (enfin de base, ce sont tout de même déjà des enseignants-chercheurs accomplis). Titulaires d'un doctorat, et également titulaires de leur poste, ils sont chargés d'enseigner et chercher, mais avec un niveau de responsabilité moindre. Dans la pratique, tout maître de conférence ayant vocation à vouloir devenir Professeur un jour (en tout cas c'est comme cela qu'on nous le présente), beaucoup tachent assez rapidement d'assurer des responsabilités conjointes avec des Professeurs de leur équipe (animation scientifique, encadrement d'une thèse dont la direction est assurée par un Professeur, etc.) en vue de la préparation de leur propre HDR. Si les PU assurent normalement toutes les grandes responsabilités scientifiques, on retrouve très régulièrement des MCF comme responsables de formation ou chefs de départements.

Après les titulaires viennent les contractuels, qui là encore peuvent être de deux types.
Les Attachés Temporaires d'Enseignement et de Recherche sont de jeunes enseignants-chercheurs, qui travaillent comme contractuels en préparant un éventuel recrutement comme titulaire. Ce sont généralement des doctorants en fin de thèse ou des docteurs ayant fraichement soutenu, et ces contrats leur permettent de vivre et d'exercer leur activité (et donc de gonfler leurs dossiers) le temps de passer les qualifications aux fonctions de maître de conférence et de passer les concours de recrutement. Un ATER effectue autant d'enseignements qu'un PU ou MCF et a tout intérêt à être très actif en recherche s'il veut être recruté un jour. Cependant, vu son statut de contractuel, il n'assure pas forcément de responsabilité de cours (même si cela peut arriver quand il apporte une compétence très pointue dans son équipe éducative) et n'assure certainement pas de responsabilité administrative. Un contrat d'ATER a une durée d'un an. Il est renouvelable une fois nationalement (c'est à dire qu'il n'est pas possible de mettre le compteur de renouvellements à zéro en changeant d'établissement). La plupart des nouveaux docteurs savent donc qu'ils ont deux ans pour essayer de trouver un poste (même s'il est possible de rester dans le milieu après en tant que chercheur pur en post-doc, les chances de recrutement diminuent au fil des années).

Les Moniteurs sont eux des doctorants (donc de jeunes chercheurs) qui bénéficient d'un programme particulier visant à les préparer à de futures carrières d'enseignant-chercheur. Ces doctorants signent donc en parallèle de leur thèse un contrat de trois années (non renouvelable, d'autant que les financements de thèse ne sont normalement que sur trois ans) en vertu duquel ils doivent effectuer le tiers du service d'un enseignant chercheur (soit 64 heures) et suivre également des formations à l'enseignement (pour sortir du cliché du chercheur ne connaissant rien à la recherche). Le fait de passer par le programme de monitorat est clairement un plus pour tout doctorant souhaitant continuer sa carrière à l'université, mais ce n'est pas une obligation pour autant (la preuve en est, je n'ai pas eu l'occasion d'être moniteur pendant ma thèse, et j'ai tout de même obtenu un poste de maître de conférence plutôt rapidement). Les moniteurs assurent essentiellement des enseignements en travaux pratiques et travaux dirigés, et sont normalement limités aux enseignements de niveau Licence (les enseignements de niveau Master étant par définition plus stratégiques et plus pointus, il est en effet raisonnable de ne les confier qu'à des enseignants expérimentés).

Et finalement, les moins bien lotis de cette cohorte d'enseignants-chercheurs sont des Agents Temporaires Vacataires. Par définition un vacataire est une personne engagée pour intervenir ponctuellement en enseignement et payée uniquement à l'heure de cours effectuée. Les statuts de vacataire permettent de recruter soit des intervenants professionnels (dont nous parlerons dans un prochain billet), soit des chercheurs ne bénéficiant pas de contrat d'enseignement en bonne et due forme. On retrouve donc parmi les vacataires des doctorants n'ayant pas bénéficié du programme de monitorat mais souhaitant tout de même enseigner (pour l'amour de l'art, et pour préparer leur CV) et également des post-doc ou chercheurs à temps-plein qui veulent effectuer un peu d'enseignement en à-coté. Ce sont les enseignants-chercheurs ayant les positions les moins enviables dans un établissement. D'une part leur rémunération est moindre, car ils ne sont payés que pour leurs heures de présence devant les étudiants (et donc pas pour les taches de préparation/correction/coordination) et d'autre part parce qu'ils ne sont employés qu'en renfort quand l'équipe titulaire ne suffit pas (et ne peut pas prendre plus d'heures complémentaires pour couvrir les besoins) et peuvent donc se retrouver très peu sollicités sur une année. Il n'y a pas de minimum de service pour un intervenant vacataire, mais ils ne peuvent par contre pas excéder 96 heures pour un doctorant et 192 pour une personne en poste.

Cette diversité de statuts est une force pour les universités, si elle est bien exploitée. Avec des enseignants titulaires assurant l'ossature des formations (et le lien de celle-ci aux évolutions des différentes disciplines, via la veille et la recherche) et des contractuels et vacataires apportant un sang neuf (et souvent un regard nouveau) sur leurs domaines. Elle constitue aussi une préparation progressive pour les futurs enseignants-chercheurs, qui ont généralement 4 ou 5 années d'enseignement à temps partiel derrière eux (3 ans de thèse plus 1-2 ans de contrat) avant d'être recrutés comme titulaires. Cependant cette diversité implique un roulement des équipes important, exercice compliqué dans les petites structures qui pourraient apprécier un peu de stabilité, et nécessite pour être complète d'autres enseignants : des enseignants à temps plein et des professionnels. Mais ça, c'est pour une fois prochaine.

lundi 10 septembre 2012

The Great Game

Aujourd'hui a eu lieu la première séance du module complémentaire (le terme officiel des programmes de DUT pour « option ») Conception et Programmation de Jeu Vidéo que nous avons décidé de mettre en place dans notre formation. Ce module a eu son petit succès au sein de la promotion, ce qui va nous permettre de travailler avec deux groupes d'une taille tout à fait acceptable (nous avons même du refuser du monde pour ne pas nous retrouver en sur-effectif).

Ce succès est typique des formations proposant du jeu vidéo dans leur cursus. Autant chez les étudiants en informatique que chez les créatifs, le jeu vidéo est un thème qui fait rêver et attire. D'ailleurs outre-manche les universités ne s'y sont pas trompées et beaucoup proposent des cursus dans ce domaine depuis des années. Cependant cette attractivité a ses inconvénients. Le jeu vidéo a beau être un domaine prolifique, c'est un petit milieu qui propose peu d'emplois, et sur des métiers très identifiés et segmentés. Ainsi en Grande-Bretagne on ne compte plus le nombre d'étudiants qui, leur Master de Game Design en poche, ont finalement du changer de branche car ne trouvant pas de métier dans le milieu. Lorsque l'on ajoute que les études en Angleterre coûtent beaucoup plus cher qu'en France (je ne bénirai jamais assez le système public français sur ce point) et que les jeunes s'endettent pour aller à l'université, on visualise mieux les limites des systèmes de « mise en concurrence » des établissements et de leurs conséquences pour les premiers concernés : les étudiants.

Toujours est-il que même si nous savons suivre les attentes de nos étudiants, nous le faisons avec parcimonie. Notre propre option ne prend qu'une quarantaine d'heure sur le cursus (qui compte 1800 heures de formation) et débouchera éventuellement sur des idées de projet tuteuré. Notre objectif est d'amener nos jeunes informaticiens à prendre conscience de la variété de métiers qui existent dans le domaine du jeu et du large panel de compétences qui interviennent dans un jeu avant sa diffusion. Beaucoup pensent encore qu'il suffit de programmer pour faire un jeu, mais c'est loin d'être assez : un jeu est avant tout une question d'idées, de gameplay, d'ergonomie, d'ambiance graphique et sonore. La programmation y est l'outil permettant de mettre le reste en fonction, mais pas (plus) le point essentiel.

En bilan de cette première journée (1h30 de cours, 3h30 de TD) j'ai eu une impression assez positive. Les étudiants sont là par choix, intéressés par le sujet, ce qui permet une qualité d'écoute et de participation clairement appréciables. Le travail qui servira de fil rouge pour ces séances (développer un prototype de jeu, en partant de l'idée initiale jusqu'à la réalisation d'un niveau de démonstration) les motive et amorce bien les choses. Maintenant, il va falloir au cours des semaines à venir traiter de sujets plus techniques ou abstraits (le premier cours consistait à définir le jeu vidéo et à retracer son histoire et son évolution) et voir si les étudiants suivent la montée de niveau.

Mais pour l'instant, j'ai un amphi d'architecture des ordinateurs à finir de préparer pour demain. Pas le temps de se reposer sur les lauriers que je me suis moi-même envoyé.

lundi 3 septembre 2012

Reboot the Universe

Une année s'achève, une autre commence. Vendredi nous avons remis leurs attestations de réussite (en attendant que les vrais diplômes soient imprimés) à nos étudiants apprentis. L'occasion de les saluer et de leur souhaiter toute la chance du monde pour tout ce qui les attend à présent. Aujourd'hui se tenaient les réunions de pré-rentrée des enseignants, afin de placer les bases de début d'année. Demain arrivent nos nouveaux étudiants, une promotion complète de nouveaux visages qui vont marcher dans les pas de leurs prédécesseurs. Demain tout recommence à zéro, ou presque.
Au final les années se suivent mais ne se ressemblent jamais tout à fait. Bien entendu il y a des invariants, mais les changements sont bien là d'une année sur l'autre. De nouveaux collègues à accueillir, de nouveaux cours, des changements de méthode, d'organisation, d'objectifs. Et également des étudiants entrant qui ne sont pas la copie conforme de ceux qui nous quittent (même si le temps a tendance à nous donner cette impression).
Au menu de cette année le lancement d'une nouvelle option : un cours sur la conception de jeux vidéo, qui je l'espère va intéresser nos étudiants de deuxième année, et une révision de certains de mes cours qui ne m'ont pas donné satisfaction l'an dernier. Au menu aussi une rationalisation de mon organisation de travail. Le temps aidant, les charges et responsabilités commencent à se cumuler, et je vais devoir gagner encore en efficacité si je veux faire front correctement. Coté recherche je vais devoir changer mon fusil d'épaule et revoir ma stratégie. L'essentiel de mes efforts l'année passée a été consacré à participer à des montages de projets afin de récupérer les fonds pour recruter des doctorants, mais en cette période c'est finalement une stratégie peu efficace. Je vais devoir redimensionner mes projets et chercher directement du coté des collaborations avec des entreprises sur des thématiques de R&D. Je pourrai toujours repasser ici dans un an pour rendre compte de l'efficacité du processus.

Du coté de ce blog, le lancement a été cahin-caha et très irrégulier, il va probablement évoluer et trouver finalement son ton dans les mois qui viennent (ou sombrer dans le manque de temps et de pertinence du contenu). J'ai quelques sujets à développer, et éventuellement un travail que je vais lancer en fil rouge si le temps me le permet. Bref, là je fais du teasing, et il faudra que je tienne toutes mes promesses.

Dans l'immédiat, j'ai une présentation de rentrée à préparer, un cours d'introduction à revoir, et une présentation d'option à mettre au point, la routine reprend son cours.

vendredi 24 août 2012

Macho Man

Ce blog n'est pas très actif ces temps-ci, la faute à un manque de motivation quand il s'agit de se poser quelques minutes et d'écrire de nouveaux posts. Voici cependant une petite contribution estivale, qui va parler de jeu, et surtout de joueurs, sur un sujet d'actualité.

Depuis quelques semaines toute une partie d'internet bruisse d'un scandale qui, s'il est loin d'être jeune sur le fond, a pris un nouveau jour récemment : la question du sexisme/machisme dans le jeu vidéo et dans les communautés de joueurs. Récemment, c'est @Mar_lard qui a tiré la sonnette d'alarme en dénonçant un article de Joystick qui présentait le prochain Tomb Raider et l'allégorie de viol sous-tendant une partie de son thème principal sous un angle clairement déplacé (ici pour le post de Mar_lard, ici et ici pour des survols de l'affaire).

Du coup le sujet éclate et ouvre sur une remise en question plus générale du milieu du jeu et de ses communautés : sexualisation à l'excès pour « faire vendre », harcèlements en ligne (qui ne sont pas sans rappeler la question du harcèlement de rue dont qui a aussi été mise en lumière ces dernières semaines), les cas sont révélateurs et loin d'être nouveaux (après tout, Tomb Raider date de 1996, et Custer's Revenge faisait déjà frémir en 1982). C'est donc un fait indéniable : une partie du marché du jeu vidéo, et une partie de la communauté des joueurs font preuve de comportements qui s'accordent peu avec les exigences d'une société contemporaine et proclamant l'égalité entre les sexes. (et pour celles et ceux qui auraient encore des doutes Fat, Ugly or Slutty finira de vous éclairer)

Une partie, pas un tout ? C'est le plus vraisemblable. Personne n'irait imaginer que tous les joueurs sont des harceleurs pervers cachés derrière leurs écrans et que tous les éditeurs raisonnent encore sur les canons du « le sexe fait vendre » pour nous refourguer leurs jeux. Et là intervient une question loin d'être anodine si l'on veut bien comprendre le phénomène : quelle partie ? En effet pour s'attaquer au problème il convient de le délimiter et de l'identifier correctement. Ce machisme est-il le fait d'une vaste majorité de joueurs ou simplement d'un petit nombre qui à lui seul réussit à ternir l'image de toute une communauté ? Ces joueurs machistes appartiennent-ils à un groupe social ou d'âge identifiable ? Le problème est-il général ou lié à certaines catégories de jeux ? D'ailleurs est-ce un problème spécifique au petit monde du jeu vidéo ou les phénomènes auxquels nous assistons ne sont-ils que le reflet d'un machisme ambiant qui touche à l'ensemble de la société ? Il faut bien réaliser que les réponses à apporter ne seront certainement pas les mêmes si l'on vient à constater que le phénomène touche essentiellement de jeunes adolescents jouant à des FPS ou si l'on remarque que ce machisme n'est que l'expression d'une tendance sexiste globale véhiculée à travers tout un ensemble culturel (ou tout autre résultat, je n'irai pas prétendre, faute d'informations, que nous sommes face à l'une de ces deux situations).
Je n'ai pas ici les réponses à ces questions (sinon je les livrerai de suite au lieu de simplement poser les questions) et je n'ai pas encore eu le temps de rechercher des études pouvant exister sur le sujet, mais il semble important, pour mettre un terme ou au moins endiguer ces comportements, qu'une étude sociologique soit menée sur ces thèmes. Cela prendra malheureusement du temps, et il ne s'agit certainement pas de demander aux victimes de ces situations de patienter gentiment en attendant que ça passe, mais cela sera certainement nécessaire à terme pour agir de façon efficace.

En attendant ce semestre l'établissement pour lequel je travaille propose une option sur la création de jeux vidéo. Coïncidence, il avait justement été prévu d'y intégrer un cours sur la question des Gender Studies dans le jeu vidéo, afin d'ouvrir un peu les horizons d'une promotion composée à 90% de jeunes hommes. Il faut croire que le sujet est vraiment dans l'air du temps.

jeudi 21 juin 2012

Moi, rôliste !



Aujourd'hui un post un peu à part, comme contribution à la campagne Moi, rôliste ! initiée par Stéphane Gallay.

J'ai découvert le jeu de rôle en 1996, j'avais 14 ans. Cette année là, les différentes chaînes de télévision diffusaient à qui mieux mieux leurs reportages sur « les-dangers-dangereux-des-dangereux- jeux-de-rôle-qui-sont-dangereux-pour-vos-enfants » (qui ont depuis été remplacés par les jeux vidéo, les mangas, internet, les MMO, et bientôt certainement les vidéos de chatons) et tout ce que j'y voyais, c'était des gens qui se réunissaient entre amis, vivaient leur passion, faisaient travailler leur imaginaire et s'amusaient fortement.
Mes parents, eux, avaient aussi vu les reportages et, comme tous les parents, ils s'inquiétaient. Il m'a donc fallu les rassurer, leur faire rencontrer les joueurs d'un club local, leur montrer que ce n'était pas dangereux, et se contenter de quelques parties sporadiques. De temps en temps, je consacrais mon mercredi ou samedi après-midi à explorer des donjons, ouvrir des portes, occire des monstres et ramasser des trésors (ou parfois l'inverse) avec des amis de lycée. Nos parties n'étaient pas exceptionnelles, mais elles étaient divertissantes, et c'était déjà ça.
Puis est venue la fac, le club de jeu de la cité universitaire, les parties plus régulières, les nuits blanches, les cours difficiles à suivre le lendemain, les grandes campagnes en déroulé sur des années. J'ai découvert une vaste galerie de jeux, me suis essayé comme MJ, y ai pris goût, rencontré des joueurs extraordinaires et des créateurs de jeu. J'avais des histoires à raconter, alors j'ai écrit des scénarios, puis des campagnes entières, créé des jeux maison et testé tout jeu qui me tombait dans les mains.
Finalement, alors que je finissais mon Master en informatique et que je recherchais activement une thèse pour la rentrée suivante, j'ai trouvé l'annonce d'un laboratoire qui recrutait un doctorant pour travailler sur les récits interactifs pour les jeux vidéo. Dans ma candidature, au-delà de mon dossier « académique », qui bien que brillant ne se démarquait pas forcément de ceux d'autres candidats, j'ai mis en avant mon expérience de meneur de jeu et de scénariste. Les encadrants de thèse m'ont rappelé, nous avons un peu parlé de mes compétences en informatique, et beaucoup de mon expérience touchant aux jeux et à l'écriture de scénarios, et j'ai été embauché. J'ai ainsi pu mener une thèse sur un sujet qui me passionnait, et qui a ouvert quelques années après sur un poste d'enseignant-chercheur en université, celui que j'occupe à présent.

Du coup loin de « ruiner ma vie » le jeu de rôle a été l'occasion de me réaliser et de me démarquer du lot. C'est grâce au jeu de rôle que j'en suis arrivé là où je suis aujourd'hui, et qu'à présent je peux enseigner et faire de la recherche. Maintenant je continue à jouer de temps en temps, je fais jouer des amis, j'organise des séances d'initiation, et j'explique au maximum de monde autour de moi que le jeu de rôle c'est avant tout de la communication, de l'imaginaire et de l'ouverture d'esprit.